Ah, ce petit noir mercredi en sortant du métro, amer juste comme il faut pour le sentir rétrécir mes papilles, alors qu’une petite brise toute pleine de soleil m’a fait fermer ma veste et remonter mon col, cligner des yeux en avalant la première gorgée. Comme beaucoup de citoyens lambda, je me suis levée quinze minutes plus tôt, j’ai sauté le petit-déjeuner pour le plaisir d’un croissant au rade du coin, juste devant l’hôpital. Autour de moi, des lève-tôt, journal sous le bras, des ouvriers à moitié debout devant un café tassé, des étudiants emmitouflés, sac à l’épaule et sur la brèche pour aller en cours. Des sans-masques, des avec-masques, des masques-sous-le-nez, des masques-au-poignet, des gens qui rient, d’autres qui chuchotent, certains s’embrassent et des passants passent, les lèvres pincées devant cette vie qui vibre.
C’est mercredi 19 mai 2021, comme un air de libération flotte sur la journée : on ne parle pas de chiffres, personne ne veut plus lire les taux d’incidence journaliers de cette pandémie dont on cherche à oublier l’ombre pour profiter du soleil en déjeunant dehors, même si les averses brutales poussent les clients à se coller les uns aux autres, jauges oubliées et gestes barrières en bandoulière. Le nombre de morts quotidien a bien baissé, les réas se vident, on oublie que c’est une très lente décroissance, on n’entend que le verbe « se vider ».
Aujourd’hui quatre patients nouvellement hospitalisés : deux vaccinés une dose qui ont dû oublier qu’un vacciné à moitié n’est qu’à moitié protégé, et deux non vaccinés pour qui la Covid-19, c’est la maladie des autres, « un an plus tard sans avoir rien attrapé, ça ne passera plus par moi ». Sur les quatre, trois contaminés par leurs grands enfants, un par sa femme de ménage. Comme si la leçon justement, un an plus tard, n’était toujours pas bien apprise.
Mais de ces messages de prévention, les gestes barrière, la vaccination, tous ces mots qui nous accrochent à un passé angoissant et un présent peu reluisant, on n’a rien gardé dans le spot publicitaire gouvernemental à la gloire du déconfinement qui passe en boucle sur les écrans : non, on y voit des gens qui trinquent, des enfants qui courent, masqués vers un futur brillant, le soleil y scintille et l’air est chantant.
Quand je quitte l’hôpital, il est vingt heures à la grosse horloge du bâtiment, je fredonne les « Mots bleus » version M dans les oreilles, toutes les tables de la petite place sont encombrées de pintes, de ballons de vin, d’assiettes de cacahuètes et de gens qui picorent, avalent, rigolent et parlent fort. On entend même les martinets dans le brouhaha qui monte avec l’air saturé de la ville. Les serveurs ont abandonné la bataille contre le masque en tissu qui glisse sur la bouche.
C'est bientôt le couvre-feu mais on sait que ce soir, peut-être plus que les soirées à venir, parce que c’est le premier soir empreint d’un sentiment de liberté retrouvée, on sait que ce soir, l’heure va s’étirer, qu’il sera longtemps 21 heures, et que l’obscurité sera déjà bien installée quand les derniers buveurs de bière auront rejoint chancelants l’entrée du métro. Et dans tous les quartiers que je traverse, c’est la même liesse, les terrasses dégueulent sur les avenues et les rues dégueulent de passants heureux.
Un pari collectif
Je pense à notre réanimation, seize patients intubés, un peu gros mais pas tant, surtout pas vaccinés, et sans doute un vacciné mais immunodéprimé. Je pense à ces patients que l’on a déménagés en catastrophe dans une réa improvisée, quand l’orage violent du week-end a fait sauter le local technique et qu’on ne pouvait les ventiler en sécurité. Je pense que, dans le futur, des intubés de la Covid-19 comme ceux de ce week-end qui ont failli mourir deux fois, on ne devrait plus en avoir si on gagne la bataille contre les variants, les antivax, et les décisions plus politiques qu’humanitaires.
Probablement qu’on ne pourra plus reconfiner, ni même freiner sans doute, quand je vois tous ces gens qui, devant leur verre plein, prennent la mesure de cette parenthèse de vie suspendue qu’ils ont traversée comme dans un mauvais rêve. Et pour certains un cauchemar s’ils y ont perdu un être cher.
Moi aussi je veux faire un pari, et au contraire d’autres qui ne veulent pas de ce mot dans le vocabulaire politique, je sais bien que c’est un pari : celui de croire que ce premier jour sera celui du dernier déconfinement malgré les scènes peu « gestes barrières – friendly » de ce soir, que l’on va massivement se vacciner maintenant que tous les adultes y ont accès, que l’on va massivement se tester si on prend des risques, si on a des symptômes, que l’on a compris qu’en nous protégeant nous, on protège aussi les autres. Je veux le faire ce pari, qu’on aura l’intelligence collective d’éviter une 4e vague.
Exergue : Aujourd’hui quatre patients nouvellement hospitalisés, deux vaccinés une dose et deux non vaccinés pour qui la Covid-19, c’était la maladie des autres,
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