« BIEN CERNER les problèmes auxquels nous sommes dès aujourd’hui confrontés et qui ne peuvent que s’accroître demain est capital », souligne le Dr Trémolières. Les antibiotiques anciens (ce sont plus de 90 % des produits disponibles, ils ont entre 15 et 70 ans d’ancienneté et sont quasiment tous génériqués) devraient rester efficaces pour le traitement d’une très large majorité d’infections communautaires, à germes habituellement sensibles.
Mais l’émergence de bactéries résistantes, est un risque connu depuis Fleming, annoncé, mal maîtrisé, même si la relation avec la consommation d’antibiotiques, justifiés ou non, à usage médical ou autre, est bien établie.
Schématiquement, on peut présenter ces questions de multirésistantes en distinguant deux niveaux.
Le premier concerne des bactéries rares, mais parfois résistantes à tous les antibiotiques ou presque. On peut citer l’exemple de ce colibacille venu d’Inde pendant l’été 2010, porteur du gène de résistance NDM-1, sur lequel deux molécules connues restaient efficaces in vitro. À ce jour les infections (principalement nosocomiales) dues à ces bactéries sont relativement rares, mais elles peuvent être cause d’épidémies difficiles à traiter chez des patients à haut risque. En termes quantitatifs, cela représente peu de chose, mais au plan humain, médiatique et thérapeutique, on accepte de moins en moins qu’elles compromettent la guérison de malades gravement atteints que la médecine moderne est réputée sauver.
Le deuxième niveau concerne des bactéries plus courantes, plus fréquentes et susceptibles de toucher un nombre plus élevé de patients. Ce sont d’abord les germes à Gram positif : pneumocoques, streptocoques, staphylocoques. Les actions menées en France depuis une quinzaine d’années ont plutôt fait diminuer la prévalence de ces germes résistants. Dans les services hospitaliers à risque, on a vu ainsi passer de 45 % à 30 % environ le pourcentage des staphylocoques résistants à la méticilline. De plus, nous disposons en général aujourd’hui d’antibiotiques efficaces sur ces germes, y compris les plus résistants. L’urgence de la solution est moins grande, mais la plus grande prudence est de mise.
Mais un niveau intermédiaire beaucoup plus inquiétant apparaît : il concerne essentiellement des germes à Gram négatif (entérobactéries ou autres) sécrétant des bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) dont, de façon plus récente, des carbapénèmases rendant la quasi-totalité de nos bêtalactamines inefficaces, y compris les carbapénèmes.
Il existe alors un risque majeur de voir se répandre des infections à germes multirésistants chez de nombreux patients. On pense, en particulier en France, à ces colibacilles cause d’infections urinaires banales chez la femme, voire en pédiatrie, résistant aux antibiotiques habituels (dont les bêtalactamines et les fluoroquinolones) et que l’on voit de plus en plus en médecine de ville. On pense aussi aux épidémies menaçant l’ensemble du globe dues à des salmonelles, des shigelles, d’autres entérobactéries résistantes à tout. On observe aussi (surtout aux États-Unis) l’importance prise par des staphylocoques résistants (SARM) dans des infections communautaires.
Face à ces germes multirésistants, les solutions antibiotiques s’amenuisent, les infectiologues s’alarment devant le faible nombre de molécules nouvelles. « Au cours des dix dernières années, on a vu arriver seulement six produits nouveaux. En ce début 2012, deux de plus viennent d’obtenir une autorisation de mise sur le marché ».
Des développements a minima.
Mais la question de savoir si ces nouveaux antibiotiques seront à la hauteur des enjeux de la résistance bactérienne n’est pas résolue. Les firmes, comprenant petit à petit que jamais plus elles ne verraient les mirifiques retours sur investissement de l’âge d’or, ont poursuivi, avec l’aval des autorités de santé (FDA–EMA), des développements a minima, limitant les indications revendiquées, sur des standards jusqu’ici non actualisés et non adaptés aux profonds changements des besoins. Les prescripteurs n’ont pas encore intégré qu’un bouleversement serait nécessaire dans nos modalités d’usage. Au début de leur développement ces futures nouveautés ont une activité identifiée in vitro sur des germes multirésistants. Mais les conditions actuelles des essais cliniques qui vont valider l’AMM ne conduisent qu’à des indications réduites, et trop d’incertitudes sur l’efficacité indubitable de ces nouveaux produits pour le traitement d’infections graves à germes multirésistants.
Au final, il est difficile d’évaluer véritablement le potentiel de ces molécules sur les infections qui nous préoccupent le plus. Il suffit de consulter les libellés des résumés des caractéristiques du produit (RCP) qui expriment de nombreuses réserves, pour s’en convaincre. Quand on précise dans l’AMM qu’un nouvel antibiotique ne doit être utilisé qu’en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée, c’est bien qu’il y a problème.
L’infectiologue voudrait de nouveaux antibiotiques aux performances bien établies, réservés au seul traitement d’infections graves à germes multirésistants identifiés. Pour l’industrie, le problème du retour sur investissement est posé. Par le passé, les antibiotiques étaient des produits très rentables car prescrits à des millions de patients. Aujourd’hui, ils constituent des produits dont on voudrait réserver la prescription et qui pourront être utiles pour seulement quelques milliers de patients confrontés à un problème de résistances, une sorte de médicament orphelin. « On peut comprendre que cela suscite un frein à l’arrivée sur le marché de ces médicaments pour lesquels l’investissement des laboratoires, en termes de recherche et de développement, reste aussi élevé que par le passé, indique le Dr Trémolières, mais aujourd’hui notre société du profit n’a pas su inventer l’alternative indispensable pour pouvoir demain continuer à traiter certaines maladies infectieuses ».
D’après un entretien avec le Dr François Trémolières. Ancien chef du service de médecine interne de l’hôpital de Mantes-la-Jolie. Le Dr Trémolières travaille depuis 25 ans à l’évaluation des antibiotiques.
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