Regards croisés sur la MPR : « Le propre de notre métier, c’est d’avoir les mains sur le patient toute la journée »

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Publié le 10/11/2023
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On peut exercer la même spécialité et avoir des vues contrastées sur son activité. Surtout quand on appartient à des générations différentes. Chaque mois, Le Quotidien croise les regards d'un futur médecin et d'un praticien aguerri sur une discipline. Aujourd'hui, la médecine physique et de réadaptation (MPR) avec Quentin Deborde, interne en dernier semestre d’urologie à Poitiers, et Nathalie Moreau, cheffe du service de rééducation à l’hôpital Léopold-Bellan de Paris.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous commencer par nous résumer votre parcours ?

NATHALIE MOREAU : J’exerce à l’hôpital Léopold-Bellan, à Paris, dans un service de médecine physique et de réadaptation (MPR) qui fait exclusivement de l’hôpital de jour, et ce sur tout type de prise en charge : sclérose en plaques, Parkinson, polytraumatisés, prothèses, fractures, atteintes neurologiques, toxine botulique, etc.

QUENTIN DEBORDE : Je suis pour ma part entre deux services. J’étais en stage en hospitalisation de jour au CHU de Limoges, je finis ma FST (Formation spécialisée transversale, ndlr) de médecine du sport pour devenir docteur junior, et je m’apprête reprendre une maison sport-santé en janvier.

Comment en êtes-vous arrivés à choisir la MPR ?

Q.D. : Je suis assez curieux, et beaucoup de spécialités m’attiraient. J’ai longtemps hésité avec la médecine générale, ou encore l’oncologie, mais je suis très impliqué dans le sport : beaucoup de copains sportifs, qui étaient passés par la rééducation, m’ont dit qu’il fallait que j'en fasse. J’ai aussi été attiré par la diversité, le côté humain, la proximité avec le patient qui sont propres à la MPR. Quant à la FST en médecine du sport, il s’agit surtout d’ajouter une corde à mon arc, pour pouvoir accompagner des sportifs, mais je ne veux pas faire que cela.

N.M. : Comme Quentin, beaucoup de spécialités m’attiraient, que ce soit la chirurgie, la cancérologie, les soins palliatifs… J’ai finalement atterri en médecine générale. J’ai aimé mon cursus mais à la fin de mes études, je ne me voyais pas m’installer en libéral. On m’a alors dit qu’on recherchait quelqu’un en SSR (Soins de suite et réadaptation, ndlr), et j’ai été attirée par l’idée de travailler avec des professions différentes. J’ai mis le pied dedans, et j’ai découvert le côté polyvalent de la rééducation, et surtout le fait qu’on est véritablement centré sur ce que veut le patient : pour un patient qui ne marche pas, par exemple, mon travail ne consiste pas forcément à le faire marcher à tout prix, mais à lui permettre de faire ce qu’il a réellement envie de faire. Si sa passion est la poterie ou la peinture, on ne mettra pas forcément l’accent sur la marche. C’est une spécialité qui permet d’entrer dans la vie de gens, cela a été un grand coup de cœur. J’ai donc passé le DIU (Diplôme inter-universitaire, ndlr), je suis devenue MPR et maintenant je suis cheffe de service.

Diriez-vous que l’une des principales caractéristiques de la MPR est son aspect pluriprofessionnel ?

Q.D. : C’est indispensable. Il ne peut y avoir de MPR sans tous les métiers qui gravitent autour. Nous faisons réellement de l’expertise partagée, et je ne peux pas véritablement prendre en charge un patient sans les kinés, les ergothérapeutes, etc. de mon équipe.

N.M. : Oui, les autres professionnels sont en quelque sorte pour nous ce que les médicaments sont aux autres spécialités. Nous ne prescrivons pas beaucoup de molécules, en revanche nous prescrivons de la kiné, de l’ergo, de l’orthophonie, de l’appareillage, de l’urodynamique… Nous avons vraiment ce côté « chef d’orchestre »…

Une autre de vos spécificités est le rôle que joue la technologie dans votre pratique.

Q.D. : Oui, ma génération est plongée dans cet aspect de la spécialité, qui est à la fois un attrait et un défi. Quand les internes arrivent, ils veulent voir le robot, l’exosquelette, et c’est normal. Je suis moi-même une grande utilisatrice de l’échographie, qui est formidable. Elle nous permet de faire de nombreux gestes techniques, mais il faut s'en méfier, car elle peut avoir tendance à nous faire perdre le sens clinique. Le propre de notre métier, c’est d’avoir les mains sur le patient toute la journée, et c’est quelque chose qu’il ne faut pas perdre. J’espère que l’avenir de la spécialité, ne sera pas de mettre les gens dans un robot qu’on va programmer et regarder fonctionner.

N.M. : Je suis tout à fait d’accord, la technologie n’est qu’un outil qu’il faut bien choisir. Dans tous les services, on voit des tapis, des robots, des technologies merveilleuses mais qui souvent ne servent à rien. Il ne suffit pas d’avoir un outil formidable, il faut aussi avoir la population qui va avec, il faut que cela soit inclus dans une prise en charge… Notre challenge quotidien, c’est de se poser les bonnes questions et de faire avec les outils que nous avons : il y a un petit côté MacGyver dans la MPR !

La MPR a-t-elle beaucoup évolué depuis que vous la pratiquez ?

N.M. : On m’a toujours dit que c’est une spécialité jeune, qui acquiert encore ses lettres de noblesse. On se rend compte qu’on pourrait avoir un pied partout : nous ne sommes ni cardiologues, ni pneumologues, mais nous intervenons dans ces domaines, et j’ai pu constater que le champ des possibles ne faisait que s’étendre pour nous. Dès qu’on met les pieds dans un service, on se rend compte qu’on pourrait y être utile.

Comment voyez-vous l’avenir de la spécialité ?

Q.D. : Nous avons deux grandes voies avec le neurologique et le locomoteur, et je pense que cela va rester le cœur de notre activité, mais de nombreuses petites branches vont permettre de se surspécialiser : cardiorespiratoire, médecine du sport, voire même chirurgie… Il reste aussi un grand travail à effectuer pour se faire connaître : un patient sur deux qui arrive dans mon bureau me dit qu’il ne sait pas très bien ce qu’il vient faire chez moi, qu’on lui a dit de venir me voir mais qu’on ne lui a pas bien expliqué ce que j’allais apporter de plus. Il faudrait donc que nous soyons davantage intégrés aux soins primaires, ce qui nous permettrait d’intervenir par exemple dès le début d’une lombalgie, et non pas quand le patient a mal depuis 15 ou 20 ans. Le jour où les généralistes, car il s’agit principalement d’eux, auront pris conscience de nos missions, on pourra prendre les personnes plus tôt.

N.M. : C’est vrai, les patients qui me sont envoyés par des collègues me disent souvent qu’ils auraient dû venir plus tôt. Je leur dis qu’effectivement, cela aurait été mieux ! On a cette idée du handicap selon laquelle la rééducation intervient à la fin, alors qu’on peut anticiper, accompagner… Dès que je rencontre un collègue, je lui dis de m’adresser ses patients, que je ferai une évaluation, et que je suis sûre que je pourrai apporter quelque chose. Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas tant de stages que cela en MPR, que ce soit pendant l’internat ou l’externat, et les collègues ne nous connaissent pas : ce n'est qu'une fois qu’ils reçoivent nos comptes-rendus, qu'ils nous disent n'avoir pas conscience de tout ce qu’on peut faire.

Diriez-vous que l’une des limites de la spécialité est son caractère presque exclusivement hospitalier ?

N.M. : Oui et non : il y a peu de libéral parce qu’il n’y a qu’à l’hôpital qu’on peut se permettre d’avoir les équipes dont nous avons besoin. Peut-être qu’un jour on pourra réunir en ville, dans des MSP (Maisons de santé pluriprofessionnelles, ndlr), des kinés, des ergo, ou des orthophonistes avec lesquels nous collaborons au quotidien. Pourquoi pas, mais en l’état actuel des choses, c’est compliqué…

Que diriez-vous pour tenter de convaincre un externe qui hésite à choisir la MPR ?

Q.D. : C’est une spécialité où on a le temps de faire les choses, de prendre en charge correctement les patients, de nouer des liens avec eux. Nous les accompagnons de l’hôpital jusqu’au domicile. Nos lieux de travail sont aussi des lieux de vie, il s’y passe toujours des choses intéressantes. Les services de MPR ne sont pas des endroits où l’on ressent la tension, la pression qui existent partout ailleurs dans le monde hospitalier. Il m’arrive d’avoir des patients qui ne veulent pas sortir d’hospitalisation : quand arrive la fin, ils négocient deux semaines de plus, c’est quelque chose qui ne se voit nulle par ailleurs, et je suis souvent obligé de chercher les arguments pour expliquer au patient qu’on ne va pas l’abandonner. Je pense que c’est le signe d’une spécialité où il fait bon vivre ! Par ailleurs, pour ce qui est de l’internat, c’est aussi une maquette où il y a deux ou trois stages libres, ce qui permet de développer les compétences que l’on souhaite, et on peut donc construire un parcours très diversifié.

N.M. : Il faut également souligner la qualité de vie dont nous bénéficions. Ce n’est pas une spécialité à gardes, les urgences vitales ne sont pas notre quotidien… Nous avons cet aspect très familial : on accompagne le patient davantage qu’on ne le soigne, au sens médical du terme. Par ailleurs, le côté pluridisciplinaire fait que nous avons énormément de sujets de discussions entre nous. En tant que cheffe de service, je demande par exemple à nos rééducateurs de nous faire des formations régulièrement, c’est important pour nous de savoir ce que fait le voisin !

Parcours

Nathalie Moreau
2009
Premier poste en SSR polyvalent
2015. DIU de médecine de rééducation
2022. Cheffe de service d'UMPR de l'hôpital Léopold-Bellan (Paris)

Quentin Deborde
2019.
Début d’internat en MPR au CHU de Poitiers
2022. Thèse de MPR
2023. FST médecine du sport et DIU médecine, physiologie et biologie du sportif

Propos recueillis par Adrien Renaud

Source : Le Quotidien du médecin