Depuis quelques années, c’est la stratégie du « traiter fort et tôt » qui fait foi dans la sclérose en plaques (SEP) pour enrayer dès le début l’évolution de la maladie et conserver au mieux la qualité de vie des patients. Mais que faire en cas de syndrome radiologique isolé (RIS) ? Décrite en 2009, cette forme infraclinique de la sclérose en plaques expose au risque de développer la pathologie et se présente avant l’arrivée des premiers symptômes cliniquement significatifs.
La meilleure connaissance des biomarqueurs biologiques et d’imagerie dont disposent les médecins aujourd’hui permet de détecter précocement les premiers signes de la SEP et ainsi de traiter le plus tôt possible. De nombreux traitements existent, autant pour ralentir la progression de la maladie qu’atténuer les symptômes ou protéger les neurones. La sclérose en plaques, longtemps considérée comme une maladie rare, touche plus de 120 000 personnes en France et 2,8 millions dans le monde.
En France, la cohorte de patients atteints d’un RIS compte plus de 800 individus dont l’âge varie entre cinq et 87 ans. Le diagnostic de RIS se fait grâce aux critères proposés par le RIS Consortium, dont la dernière mise à jour date de 2023, et s’appuie sur les critères diagnostiques de la SEP McDonald 2017.
Deux études en miroir menées chez des patients RIS aux États-Unis et en Europe, Arise et Teris, ont montré l’efficacité de deux traitements de la SEP, le diméthyl fumarate et le tériflunomide, pour réduire le risque de SEP à trois ans. Ces résultats ouvrent la porte à un traitement précoce pour éviter la conversion vers la SEP.
Arise et Teris, mêmes résultats avec deux molécules
Les études Arise et Teris, toutes deux de même design, évaluent l'efficacité de deux molécules aux modes d’action différents. L’étude américaine Arise, menée par le Pr Darin Okuda, a évalué l’efficacité du diméthyl fumarate, et l’européenne et turque Teris, menée par la Pr Christine Lebrun-Frénay du Centre de ressource et compétences SEP de Nice, celle du tériflunomide. Ces deux molécules, des immunomodulateurs, ont la particularité d’être déjà utilisées dans le traitement de fond de la SEP récurrente-rémittente.
Arise et Teris retrouvent ainsi, en phase 3, un effet positif des immunomodulateurs dans le RIS, avec une taille de l’effet quasiment identique (72 % pour Teris et 80 % pour Arise), sur la réduction du risque de développer la maladie. « Ces deux études montrent que prescrire dès le stade préclinique un traitement de la maladie qui réduit habituellement de 35 à 45 % le risque de poussées peut aussi réduire le risque de développer la maladie elle-même », analyse la Pr Lebrun-Frénay. « Dans Arise et Teris, les populations recrutées se sont avérées différentes, les patients d'Arise étaient beaucoup moins actifs que ceux de Teris, pourtant ils avaient le même âge et le même volume de plaques et étaient en même nombre, commente la neurologue. Cela pourrait expliquer pourquoi les résultats étaient légèrement moins élevés pour Teris. »
Zoom sur Teris, l’étude européenne
Teris est un essai de phase 3 qui a inclus 89 patients (âge moyen 37 ans) et a évalué l’efficacité du tériflunomide (n = 45) contre placebo (n = 44) dans la réduction du risque de conversion. Le ratio était de 3:1 pour les femmes, une répartition équivalente à celle observée dans la SEP. L’étude retrouve des résultats positifs sur le critère principal (survenue d’un premier événement clinique) à 2 et 3 ans avec 72 % de réduction de risque en analyse ajustée. La phase d’extension est déjà lancée. Teris est porté par le Centre de ressources et compétences de Nice qui fait partie du réseau d’investigation clinique FCRIN4MS (réseau FCRIN).
Il est important de rappeler qu’il y a une filière garante du diagnostic qui est là pour aider à évaluer le rapport bénéfice-risque d’un traitement
Pr Christine Lebrun-Frénay, cheffe de service de neurologie du CHU de Nice, CRC-SEP de Nice
Diagnostic de certitude
« Il ne faut évidemment pas traiter sans certitude d'un diagnostic de RIS selon les critères 2023 avec présence irréfutable d’une maladie chronique », avertit la Pr Christine Lebrun-Frénay, également membre du Consortium RIS. « C’est une décision avant tout pluridisciplinaire qui se fait en fonction de la stratification du risque. Près de 20 % de la population présentent des hypersignaux à l’IRM, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut y voir un RIS et traiter », poursuit-elle.
Les études prospectives en France montrent que le risque de conversion d’un RIS est de 20 % à 2 ans, 34 % à 5 ans, 52 % à 10 ans, et de plus de 75 % à 45 ans. Actuellement, les recommandations des sociétés savantes françaises indiquent que quand un neurologue en diagnostique un, il doit tout d’abord se rapprocher d’un centre expert pour la recherche des biomarqueurs, non disponibles en routine, et la confirmation du diagnostic. « C’est une entité qui requiert des examens supplémentaires en centre de référence et surtout l’avis de la réunion de concertation pluridisciplinaire nationale et l’intervention de la filière nationale de Nice », détaille la cheffe de service du CHU de Nice.
Si les études Arise et Teris apportent des perspectives de traitement précoce, les molécules testées n’ayant pas encore d’autorisation de mise sur le marché AMM dans l’indication, « il faut avant que nous trouvions le meilleur schéma thérapeutique pour le patient RIS » avertit-elle. En effet, devant un RIS, plusieurs options sont possibles, suivi ou mise sous traitement, et le choix se fait selon le risque. « Il est important de rappeler qu’il y a une filière garante du diagnostic qui est là pour aider à évaluer le rapport bénéfice-risque », souligne la spécialiste. Des recherches restent à effectuer, notamment pour l’élaboration des protocoles d’administration des traitements. « Nous essayons également de modéliser finement le début de la maladie, avant les symptômes, grâce aux nouveaux biomarqueurs », rajoute la Pr Christine Lebrun-Frénay.
Lebrun-Frénay C. et al., The Lancet Neurology 2023. DOI : 10.1016/S1474-4422(23)00281-8.
Okuda D. et Lebrun-Frénay C ., MS Journal 2024. DOI : 10.1177/13524585241245.
Diagnostic du syndrome radiologique isolé
Le diagnostic d’un syndrome radiologique isolé se fait par la découverte, généralement fortuite, de lésions dans la substance blanche en l’absence, pourtant, de symptômes cliniques de sclérose en plaques. Elles sont de type ovoïde, bien limitées, de taille supérieure à 3 mm2 et peuvent se retrouver dans le corps calleux, les régions périventriculaires, juxtacorticales, infratentorielles et la moelle épinière.
Le diagnostic se fait, selon les critères Barkhof de 2009, à l'IRM cérébrale seule avec l’observation des quatre localisations de dissémination spatiale radiologique. La définition de 2023 diffère en ajoutant des critères à l’IRM médullaire et à la ponction lombaire : il faut la présence d’au moins un des critères de Barkhof et au moins deux de ceux additionnels de 2023 (présence de bandes oligoclonales surnuméraires sur l’analyse de la ponction lombaire, présence d’au moins une lésion médullaire d’allure inflammatoire, présence d’une dissémination temporelle radiologique définie par l’apparition d’au moins une nouvelle lésion T2 ou une prise de contraste après injection à l’IRM de contrôle). Les protéines NFL et GFAP sont également des biomarqueurs retrouvés dans la ponction lombaire ; le signe de la veine centrale est un biomarqueur d’imagerie d’intérêt qui fait l'objet de nombreuses publications. Avec la définition de 2023, ce sont donc des patients avec moins de lésions, mais des localisations plus suggestives de la sclérose en plaques.
Lebrun-Frénay C et al. Brain 2023. doi : 10.1093/brain/awad073
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?