L’exposition simultanée à plusieurs additifs alimentaires est associée à une incidence plus élevée de diabète de type 2, au-delà des effets potentiels liés à chacun de ces additifs. Cet « effet cocktail » vient d’être observé par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren-Cress, Inserm, Universités Sorbonne Paris Nord et Paris Cité, Cnam, Inrae), à partir des données collectées au sein de l’étude NutriNet-Santé.
C’est la première fois qu’une cohorte évalue, chez l’homme, l’exposition combinée à un large spectre d’additifs alimentaires et ses effets sur la santé. Les auteurs ont, pour cela, décortiqué les données de 108 643 adultes de la cohorte NutriNet-Santé suivis sur une période moyenne de 7,7 ans. Les participants renseignaient en ligne tous les aliments et boissons consommés ainsi que leur marque (pour les produits industriels), sur au moins deux journées (jusqu’à 15 journées pour certains).
Cinq cocktails identifiés, dont deux associés au risque de diabète
Seuls les additifs consommés par au moins 5 % de la cohorte ont été inclus dans la modélisation des mélanges. Résultat : cinq principaux mélanges ont été identifiés. Selon les résultats de l’étude publiée dans Plos Medicine, la consommation régulière de deux de ces mélanges d’additifs alimentaires était associée à une augmentation de l’incidence du diabète de type 2, indépendamment des autres facteurs majeurs de risque que sont la mauvaise qualité nutritionnelle du régime alimentaire, les facteurs sociodémographiques et de mode de vie.
Le premier « cocktail » comprend des carraghénanes, des amidons modifiés et autres additifs souvent retrouvés dans des bouillons, des desserts lactés, des matières grasses et des sauces industrielles. Le second mélange incriminé contient des édulcorants (acésulfame-K, aspartame, sucralose), des colorants (caramel au sulfite d’ammonium, anthocyanes, extrait de paprika), des émulsifiants (gomme arabique, pectine, gomme de guar), des acidifiants, des régulateurs d’acidité (acide citrique, citrates de sodium, acide phosphorique, acide malique) et un agent d’enrobage (cire de carnauba), caractéristiques des boissons édulcorées et des sodas. Une plus forte présence de ces mélanges dans le régime alimentaire était associée à une incidence plus élevée de diabète de type 2.
Il est important de préciser que chacun de ces deux cocktails d’additifs n’est pas nécessairement présent dans sa totalité au sein du même aliment. Ils peuvent être apportés par des aliments différents constitutifs du régime alimentaire d’un même individu.
Les recommandations confortées
« Nos résultats suggèrent que plusieurs additifs emblématiques présents dans de nombreux produits sont souvent consommés ensemble et que certains mélanges seraient associés à un risque plus élevé de diabète de type 2. Ces substances pourraient ainsi représenter un facteur de risque modifiable, ouvrant la voie à des stratégies de prévention de cette pathologie », explique Marie Payen de la Garanderie, doctorante à l’Inserm et première autrice de ces travaux.
Ces résultats renforcent les recommandations actuelles préconisant de limiter les aliments ultra-transformés (voir encadré). « Ces derniers ne présentent aucun bénéfice pour la santé du consommateur, accuse Mathilde Touvier, directrice de l’Eren-Cress et principale investigatrice de la cohorte NutriNet-Santé. Leur seul intérêt est économique, pour l’industriel. »
Mieux signaler les aliments ultra-transformés
En juin 2023, une étude randomisée menée sur plus de 21 000 personnes, également dirigée par Mathilde Touvier, avait démontré qu’un nouveau Nutri-Score signalant par un cadre noir les aliments ultra-transformés influençait positivement la capacité des consommateurs à identifier à la fois les aliments ayant un meilleur profil nutritionnel, et n’étant pas ou peu transformés. Pour les industriels de l’agroalimentaire, un tel logo serait, sans mauvais jeu de mots, difficile à avaler.
« En pratique, les consommateurs n’ont pas accès à l’information qui leur permettrait de savoir quels procédés physiques ou chimiques a subis un aliment, insiste Mathilde Touvier. Nous militons déjà pour que le Nutri-Score devienne obligatoire ! Ensuite, il pourra être possible de le modifier pour signaler le caractère ultra-transformé du produit ou la présence d’additifs. » La commission européenne a commencé des consultations pour un projet de logo nutritionnel harmonisé européen mais les premiers éléments qui ont fuité laissent entendre que le Nutri-Score tel qu’utilisé en France ne sera pas repris. « Nos résultats devraient également contribuer à faire évoluer les évaluations de la sécurité des additifs par l’EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments, NDLR) pour tenir compte des effets cocktails et non plus seulement substance par substance, poursuit Mathilde Touvier. Cela pourrait conduire à une révision des doses maximales autorisées. »
De nouveaux travaux sur les maladies cardiovasculaires et les cancers
La chercheuse reste toutefois prudente, et réaffirme que cette seule étude ne suffit pas à démontrer de manière définitive l’existence d’une synergie entre les additifs vis-à-vis de l’augmentation du risque de diabète de type 2. Il faut que ces résultats soient reproduits dans d’autres cohortes. « Cela participe tout de même à un faisceau d’arguments, nuance-t-elle. Un peu plus tôt dans l’année nous avons publié, avec des toxicologues de l’Inrae-Toxalim, une étude in vitro qui montre un effet des mélanges d’additifs sur la cyto et génotoxicité cellulaires au-delà de celui des additifs pris séparément. »
D’autres travaux sont en cours, toujours à partir de la cohorte NutriNet-Santé, à commencer par une étude sur les liens entre les cinq cocktails d’additifs et le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer et d’hypertension artérielle. Un autre projet analyse le lien entre l’exposition aux additifs et le microbiote de 10 000 patients dont les selles ont été récemment collectées. « Nous explorons aussi leur effet sur les marqueurs sanguins de l’inflammation et du stress oxydatif », termine Mathilde Touvier.
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Qu’est-ce qu’un aliment ultra-transformé ?
Le concept d’aliment ultra-transformé a été proposé pour la première fois par le nutritionniste brésilien Carlos Augustos Monteiro, créateur du système de classification Nova. Les aliments de base (un poisson, un légume, du sucre en poudre) sont classés Nova 1. L’huile, le beurre et les produits qui permettent de transformer les aliments de base sont classés Nova 2. Les « aliments transformés », c’est-à-dire cuisinés, sont classés Nova 3 (un gâteau fait maison par exemple). Les aliments ultra-transformés (Nova 4) sont des aliments ayant subi d’importants procédés de transformation biologiques, chimiques, physiques (extrusion, hydrolyse, chauffage à très haute température, etc.) et/ou dont la formulation contient certains additifs alimentaires non nécessaires à la sécurité sanitaire du produit (colorants, émulsifiants, édulcorants par exemple) ou certaines substances industrielles (huiles hydrogénées, sirop de glucose/fructose, protéines hydrolysées, sucre inverti).
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