Des chercheurs et médecins français montrent, chez 35 millions d'enfants de 11 pays développés, que les ordonnances médicamenteuses en ambulatoire sont sujettes à des variations parfois marquées. Ces résultats publiés dans le « Jama Network Open » suggèrent des prescriptions inappropriées, notamment par excès en France.
L'équipe Epi-Phare (ANSM, Cnam)/Inserm/Université de Paris/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/AP-HP confirme le constat fait précédemment que l'hexagone est l'un des plus gros consommateurs de médicaments, y compris en pédiatrie. « Si moins d'un enfant sur deux en Suède se voit prescrire un médicament chaque année, c'est le cas pour huit petits Français sur dix », souligne notamment l'Inserm sur son fil Twitter.
Une partie importante des disparités est associée à l'hétérogénéité des systèmes de soins, les auteurs citant notamment la politique française de prescrire des médicaments disponibles en vente libre par rapport au remboursement des mêmes molécules sous certaines conditions dans d'autres pays. Mais il reste que « de fortes variations concernaient des classes thérapeutiques majeures uniquement disponibles sur ordonnance, comme les corticostéroïdes systémiques, les psychoanaleptiques, les contraceptifs oraux et les médicaments antiasthmatiques », lit-on.
Bases de données nationales et régionales
Cette revue systématique, dite Prospero, a inclus 11 études (8 bases de données nationales et 3 régionales) concernant 11 pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à savoir la France, l'Espagne, l'Italie, le Danemark, le Canada, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, les États-Unis et le Royaume-Uni.
Les chercheurs ont comparé les pays à l'aide de la prévalence des prescriptions pédiatriques ambulatoires (POP), exprimée en nombre de patients âgés de moins de 20 ans ayant au moins une prescription pour 1 000 patients pédiatriques par an. L'analyse a été déclinée par molécule et par groupe d'âge (< 5-6 ans versus ≥ 5-6 ans).
Globalement, il ressort que la prévalence des POP est la plus élevée en France et en Nouvelle-Zélande (respectivement 857 et 731 patients pédiatriques pour 1 000 par an), et la plus faible dans les pays scandinaves (480 en Suède, 508 au Danemark) et en Italie (491).
Le cas des corticoïdes
La probabilité qu'un enfant ait une prescription de corticoïde systémique était multipliée par plus de 100 en France par rapport au Danemark. Une différence d'ordre « culturel » pour les auteurs, les médecins français ayant un a priori favorable pour les corticostéroïdes par rapport à leurs pairs scandinaves.
De plus, la prise en charge de certaines pathologies, comme celle de l'otite séreuse, varie selon les pays. Alors que les Danois préconisent un recours rapide à la chirurgie et les Américains déconseillent les corticoïdes, les recommandations françaises suggèrent un traitement par corticostéroïdes systémiques ou par voie nasale, dans l'attente d'une amélioration spontanée ou d'un traitement chirurgical, est-il rapporté.
Et alors qu'un recours à une cure courte de corticostéroïdes est recommandé en cas d'exacerbation sévère, « le contrôle de l'asthme pourrait être moins optimal dans la population pédiatrique française par rapport à d'autres pays avec des taux plus faibles d'admission à l'hôpital », avancent même les auteurs. Quant à la probabilité doublée en France d'avoir un médicament des maladies obstructives des voies aériennes, cela reflète « le manque de standardisation internationale pour le diagnostic et le traitement de l'asthme, en particulier chez les enfants de moins de six ans ».
La probabilité qu'un enfant prenne des antibiotiques était doublée en Nouvelle-Zélande par rapport au Danemark, voire triplée par rapport à la Suède. « Les antibiotiques sont prescrits de façon inappropriée principalement pour des infections virales dans les pays de l'OCDE », écrivent les auteurs, soulignant l'effort nécessaire « de pédagogie et de régulation ».
Perception des psychotropes par les médecins et le grand public
À l'inverse, la probabilité d'avoir un traitement antiépileptique était 40 % plus élevée en Suède qu'en France, alors qu'elle était identique en Suède et en Norvège. Pour les psychoanaleptiques, les enfants de 5-6 ans et plus avaient quatre fois plus de chances d'avoir une prescription en Suède et deux fois plus au Danemark par rapport à la France. Les deux molécules les plus prescrites de cette classe sont la fluoxétine dans le syndrome dépressif et le psychostimulant méthylphénidate dans le trouble avec déficit de l'attention et/ou hyperactivité.
Les taux élevés de prescription en Suède pourraient s'expliquer par la « perception des psychotropes chez les médecins et le grand public », mais aussi par « l'accès facilité aux services de pédopsychiatrie ». A contrario, la méfiance à prescrire des médicaments au profil de tolérance partiellement connu à long terme et la place des approches non médicamenteuses pourraient être associées à une faible prévalence des prescriptions de psychotropes dans les autres pays.
Pour les adolescentes, la probabilité d'avoir une prescription de contraceptifs oraux était doublée en Norvège et au Danemark par rapport à la France. Mais cela pourrait s'expliquer en partie par le fait que les cohortes scandinaves incluent des jeunes filles de 18-19 ans, contrairement à la France. « Néanmoins, ces résultats suggèrent que les jeunes Danoises commencent plus tôt une contraception orale que leurs homologues françaises », est-il avancé.
Les enfants les plus petits concernés par les surprescriptions
Pour les auteurs, ces larges variations entre des pays au niveau socio-économique comparable suggèrent des sur- et sous-prescriptions inappropriées, en particulier pour les antibiotiques, les corticoïdes systémiques, les psychoanaleptiques, les contraceptifs oraux et les médicaments antiasthmatiques. « Les surprescriptions en particulier concernent le groupe d'âge pédiatrique le plus immature, sachant que les enfants âgés de moins de 5 à 6 ans ont la plus forte prévalence de prescriptions médicamenteuses en ville quelle que soit la zone géographique », est-il écrit.
Alors que ces molécules peuvent avoir des effets indésirables potentiellement sévères, les facteurs associés à ces prescriptions inappropriées doivent être mieux compris « afin de guider les campagnes d'information et les décisions de régulation dans certains pays de l'OCDE », estiment les auteurs.
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