Chez l’enfant, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) présente de nombreuses spécificités. Maltraitance, violences sexuelles, attentats… Les mineurs confrontés à l’indicible requièrent une prise en charge spécialisée. La société ouvre enfin les yeux et la structuration d'un réseau de centres régionaux dessine une voie prometteuse. Mais le chemin est encore long, en particulier pour le repérage.
« Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit ». En intitulant ainsi son rapport final publié le 17 novembre, bilan de trois années d'existence et de recueil de témoignages, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) appelle à sortir du déni.
Ce « déni ancien, puissant et collectif », selon les mots de l'instance indépendante, plusieurs personnalités ont commencé à le briser, comme Vanessa Springora (Le Consentement) ou Andréa Bescond (Les Chatouilles). C'est d'ailleurs dans l'onde de choc de la publication de La Familia grande, de Camille Kouchner, le 7 janvier 2021, qu'est née la Ciivise.
Mais pour ces voix qui parviennent à s’élever, combien d’autres se taisent, en particulier celles des enfants ? Combien de jeunes victimes luttent pour survivre et vivre à nouveau un jour ?
Un réseau de centres régionaux référents
Ces dernières années, la prise en charge des victimes de traumatismes (qu'il s'agisse de violences physiques et/ou sexuelles ou d'attentat) s'est structurée à travers la création de centres régionaux du psychotraumatisme (CRP), coordonnés par le Centre national de ressources et de résilience (CN2R) créé en 2019 (1). En 2022, 17 centres et leurs antennes couvraient la totalité des régions.
« Les CRP sont des dispositifs de prise en charge globale – accueil, orientation et traitement – des personnes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), explique la Dr Séverine Blot, pédopsychiatre responsable du CRP au CHU de Bordeaux. Formées au psychotraumatisme, les équipes de professionnels proposent les soins les mieux adaptés à chaque personne à l’épreuve d’un évènement traumatisant. »
Rattachés à des centres hospitaliers, les CRP ont pour missions au niveau régional de proposer une prise en charge globale aux enfants, adolescents et adultes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique, d’apporter une expertise et des ressources, de cartographier les professionnels de santé sur le territoire, tout en travaillant avec les différentes organisations d’accompagnement des victimes (associations, services sociaux,…).
En Nouvelle-Aquitaine, la région comporte un CRP adultes et un CRP enfants. « On accueille les jeunes patients qui nous sont adressés par des confrères hospitaliers ou de ville, on établit un bilan approfondi puis on les oriente vers des professionnels formés quand c’est possible et, pour les cas les plus complexes, on les prend en charge au CRP », explique la praticienne.
En 2022, sur les 528 demandes de prise en charge reçues, 57 concernaient des mineurs entre 3 et 18 ans. « C’est une hausse de 24 % par rapport à 2021, les demandes étant en augmentation constante, souligne la Dr Séverine Blot. C’est en partie parce que nous sommes de mieux en mieux identifiés au niveau du CRP adultes, mais pas encore assez pour le CRP enfants. »
Respecter le rythme et la parole des enfants
« Les enfants nous sont souvent adressés par des médecins généralistes, parfois par des pédopsychiatres ou des psychologues, nous les recevons en binôme et, au terme de trois à six consultations en moyenne, nous réalisons l’évaluation de l’enfant et rendons le bilan au jeune patient et à sa famille ou à ses tutelles », développe la Dr Blot. En cas de TSPT simple, l'équipe propose un suivi en ville ; lorsque le tableau est plus complexe, le jeune est suivi par le centre, parfois pendant deux ans. « Le temps initial de mise en confiance est primordial, explique la médecin. Dans le trauma, travailler un attachement sécure est essentiel, tout comme la parole du premier adulte auquel l’enfant confiera son secret. C’est décisif pour la suite et parfois l’installation ou non d’un TSPT. »
Le respect du rythme de l'enfant tout au long du parcours de soins est crucial, et certains jeunes ne commencent à parler qu’au bout de plusieurs mois de suivi. « Par ailleurs, en cas de décompensation, de dépression ou d’idées suicidaires, l’urgence n’est pas au trauma mais la mise à l’abri de la personne », rappelle Séverine Blot. Plus globalement, la mise à l'abri est un préalable au soin. « Lorsque l’enfant est toujours sous la menace d’un adulte dont la justice n’a pas réussi à le protéger, nous sommes dans l’incapacité de commencer à traiter le trauma et cela peut parfois durer plusieurs années », regrette la pédopsychiatre.
La détection doit être précoce, sachant que le trauma provoque des modifications au niveau de l’amygdale, de l’hippocampe et du cortex préfrontal, avec un hypo- ou hyperfonctionnement de certaines régions du cerveau et l’atrophie d’autres. « Chez l’enfant, un trauma répété touchera toutes les sphères du développement : relation aux autres, régulation émotionnelle - qui n’est pas installée chez l’enfant avant six ans -, apprentissages et développement psychomoteur. Un trauma complexe impacte en profondeur la structuration de l’adulte qu’il deviendra », précise la Dr Blot. Des études avec IRM ont ainsi montré une diminution du volume du cortex préfrontal chez les adultes ayant subi des abus sexuels dans l’enfance.
Il est aussi crucial que les professionnels qui accompagnent ces enfants dans de telles situations de souffrance soient formés. « On doit être très rigoureux dans le recueil de la parole de l’enfant, c’est aujourd’hui réalisé dans une approche pluridisciplinaire, explique la praticienne. Ces regards croisés permettent une meilleure prise en charge des enfants. » La formation est d'ailleurs un volet essentiel des missions des CRP. « On forme les professionnels de santé, mais également l’éducation nationale la police et la justice », rapporte la Dr Séverine Blot. L’objectif : mieux repérer les enfants en TSPT, pour alerter, apprendre à recueillir leur parole et les accompagner au quotidien, en expliquant par exemple le phénomène de reviviscence aux enseignants.
Outre La Familia grande de Camille Kouchner, de nombreuses œuvres littéraires et artistiques ont dénoncé les drames individuels ou collectifs et donné à voir la lente reconstruction des victimes. En janvier 2020, l'éditrice Vanessa Springora publie Le Consentement, où elle dénonce l'emprise qu'a exercé sur l'adolescente qu'elle était l'écrivain Gabriel Matzneff, de 35 ans son aîné. L'adaptation cinématographique, signée Vanessa Filho, est sortie le 11 octobre. Deux ans auparavant, la danseuse Andréa Bescond portait à l'écran sa pièce Les Chatouilles, qui dit les viols qu’elle a subis enfant de la part d’un ami de ses parents. Cette rentrée littéraire, Neige Sinno a reçu les prix Femina et Le Monde, ainsi que le Goncourt des lycéens (et d'innombrables éloges) pour Triste tigre, encore un récit de viol. Le criminel : son beau-père, entre ses 7 et 14 ans.
L'écriture est aussi le réceptacle de traumatismes collectifs : la tuerie de Charlie Hebdo, racontée dans Le lambeau de Philippe Lançon, l'attentat du Bataclan dans Vous n’aurez pas ma haine, écrit par Antoine Leiris et porté au cinéma par Kilian Riedhof, ou encore Aux Vivants de Fanny Chasseloup Lavaud.
(1) Dirigé par le Pr Guillaume Vaiva (CHU Lille) et le Pr Thierry Baubet (AP-HP), le CN2R a pour objectif d'approfondir et de diffuser les connaissances sur les psychotraumatismes et la résilience, d'élaborer des formations et d'animer le réseau des centres régionaux.