Depuis une vingtaine d’années, les psychiatres tentent d’utiliser la kétamine, cet anesthésiant mis au point dans les années soixante, pour traiter des dépressions réfractaires, mais avec des fortunes diverses. La majorité des études publiées jusqu’à présent évaluait des formes injectables utilisées hors autorisation de mise sur le marché (AMM) ou bien par voie intranasale (la spécialité Spravato a été récemment autorisé dans la dépression résistante dans l’Union européenne mais non disponible en France). De telles formulations exposent les patients à des effets secondaires, notamment cardiaques, et à un risque de détournement.
Les chercheurs néo-zélandais, taïwanais et anglais du collectif Bedroc Study, coordonnés par le Pr Paul Glue (Université d’Otago à Dunedin, en Nouvelle-Zélande), en association au laboratoire néo-zélandais Douglas Pharmaceuticals, tentent de contourner ces désagréments, avec une nouvelle formulation orale à libération prolongée, associée à une biodisponibilité plus faible. Un pari qui semble gagnant, à en croire les données d’une première étude de phase 2 publiée dans Nature Medicine.
Une première sélection des patients
L’équipe a sélectionné 231 personnes atteintes de dépression et les a soumises à un test de réponse à la kétamine. Au bout de huit jours de traitement, dont cinq consacrés à l’augmentation progressive des doses, plus de la moitié (57,1 %) des patients étaient en rémission, et 72,7 % répondaient au traitement, soit 168 patients.
Le suivi était de 92 jours, au bout duquel 29,7 % des patients du groupe placebo étaient toujours inclus dans l’étude, contre 56,2 % des 4 groupes de patients traités par kétamine (à 30, 60, 120 et 180 mg, deux fois par jour). Évalués sur l’échelle de dépression MADRS, les patients de tous les groupes kétamine avaient une réduction significative de leur score, par rapport au placebo. C’est dans le groupe 180 mg que la réduction était véritablement significative : 6,1 points en moins sur une échelle de 60. Au début de l’étude, ce score était en moyenne autour de 30 dans tous les groupes. À la fin, cette moyenne était de 15,9 dans le groupe 180 mg, 18,9 dans le groupe 120 mg, 20,7 dans le groupe 60 mg, 20 dans le groupe 30 mg et 22,2 dans le groupe placebo.
Le taux de rechute était significativement réduit dans le groupe 180 mg (42,9 % contre 70 % dans le groupe placebo). La majorité de ces rechutes survenait au cours des quatre premières semaines de traitement. Les chercheurs notent que la formulation orale qu’ils proposent n’était pas, dans leur étude, associée aux effets secondaires traditionnellement observés chez les patients recevant de la kétamine par voie intranasale ou intraveineuse : hypertension et tachycardie. Ils attribuent cette différence à la diffusion sanguine plus lente de leur voie d’administration.
Une molécule qui fait débat
« Il faut considérer la kétamine comme un intermédiaire entre les antidépresseurs classiques et les électrochocs », a réagi auprès de l'AFP le psychiatre Michel Hofmann, basé aux hôpitaux de Genève, qui évoque un véritable « enthousiasme » dans la communauté médicale. « Pour les patients chez qui les traitements classiques ne marchent pas, elle ouvre une possibilité de ne pas aller jusqu'aux électrochocs », précise-t-il.
En avril, une autre étude publiée dans le BMJ montrait que de jeunes mères ont vu leur risque de dépression post-partum réduit après avoir reçu une seule dose d'eskétamine, un dérivé de la kétamine, à la naissance de leur bébé.
Mais si l'eskétamine est déjà approuvée depuis plusieurs années aux États-Unis et en Europe dans certaines dépressions, des psychiatres redoutent le risque d'addiction, d'autant que la molécule est souvent détournée comme drogue, un usage tristement médiatisé par le décès d'overdose de personnalités comme l'acteur américain Matthew Perry.
« Est-ce que l'on donnera bientôt de la kétamine aux patients aux idées suicidaires ? Difficile à dire, car il y a un vrai risque qu'un large usage de la kétamine provoque une nouvelle crise des opioïdes », prévenait en 2022, dans un éditorial du BMJ, le psychiatre Riccardo De Giorgi, en référence à la crise sanitaire qui a provoqué des centaines de milliers de morts aux États-Unis. C'est d’ailleurs un autre atout de la nouvelle formulation proposée par les chercheurs : réduire le risque de dépendance.
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