Renoncement aux soins

Le reste à charge en débat

Publié le 15/12/2011
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QUELLE EST L’AMPLEUR du reste à charge (RAC) en France dans le domaine de la santé ? Et dans quelle mesure peut-il être un facteur de renoncement aux soins ? Ces questions prennent, depuis quelques années, de plus en plus d’importance dans le débat public sur la Santé. Et il est clair que le sujet sera débattu lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012.

Pour Claude Le Pen il faut distinguer deux types de RAC. « Il y a le RAC après l’assurance publique et celui après la prise en charge des complémentaires, indique-t-il. Si l’on considère le reste à charge « public », on peut estimer qu’il est relativement important puisqu’il atteint environ 25 %. En revanche, le reste à charge privé, qui se situe à environ 9 %, est l’un des plus faibles d’Europe ».

Ce constat doit certes être un peu nuancé par le fait que, d’une complémentaire à l’autre, le niveau de remboursement peut se révéler très variable. « C’est un élément à prendre en compte, bien sûr. En revanche, je trouve moins pertinent l’argument consistant à dire qu’il faut intégrer ce que paient les gens pour leurs mutuelles dans le RAC. Car on peut aussi faire observer que les Français paient de la même manière, via leurs cotisations, pour la Sécurité sociale », souligne Claude Le Pen.

Plus de 90 % des Français ont une complémentaire santé.

Aujourd’hui, on estime que 92 % des Français ont accès à une complémentaire santé, par le biais d’une assurance privée, d’une mutuelle ou, pour les plus démunis, par le biais de la CMU-C. Cela signifie donc que 8 % des assurés sont couverts par la seule assurance-maladie. « Dans un certain nombre de cas, le fait de ne pas avoir de mutuelle est un choix, souligne Claude Le Pen, en particulier certains jeunes actifs, en bonne santé estiment qu’ils n’ont pas besoin de dépenser de 50 ou 100 euros par mois dans une mutuelle. Les personnes en intérim ou sans emploi stable sont moins couvertes que le reste de la population. Certaines populations, très marginalisées socialement, échappent aussi à la CMU-C. Mais il s’agit parfois d’un choix subi. Un certain nombre de gens modestes, qui sont juste au-dessus du barème de la CMU-C, n’ont pas les moyens de souscrire une mutuelle, le dispositif d’aide à l’acquisition aux complémentaires, mis en place pour cette partie de la population, ne fonctionnant pas très bien ».

Claude Le Pen observe aussi qu’il existe différents niveaux de RAC, selon le profil des patients. « Prenons le cas d’un patient en affection de longue durée (ALD), qui est hospitalisé. Dans ce cas, le taux de couverture réelle, qui est calculé à partir de toutes les dépenses et notamment des dépassements d’honoraires, doit être de 92 ou 93 % », indique l’économiste, en rappelant que 9 millions de personnes en France sont classées en ALD. « En revanche, pour un patient, qui n’est pas en ALD et qui est soigné en ambulatoire, cette couverture réelle est d’environ 55 % », ajoute-t-il.

Dans quelle mesure le RAC influence-t-il le comportement des Français face à leur santé ? Et peut-il être un facteur de renoncement aux soins ? « C’est difficile de se prononcer avec certitude. Dans les enquêtes, les gens répondent en général que le RAC est un facteur de renoncement aux soins. Mais il est assez naturel de répondre de cette façon dans ce type d’enquête. En fait, quand on leur demande d’être plus précises, les personnes interrogées indiquent en général que ce renoncement concerne principalement les soins dentaires », constate Claude Le Pen.

« Aujourd’hui, on entend certains responsables politiques affirmer que ce renoncement aux soins concerne 25 % des Français. Mais si ce phénomène était aussi massif, cela se verrait au niveau de la consommation médicale. Elle devrait baisser alors que, au contraire, elle est plutôt en augmentation », poursuit l’économiste. « Prenons l’exemple d’un patient qui est malade. Il va chez le médecin, qui lui propose un traitement auquel le patient va renoncer parce qu’il juge que cela va lui coûter trop cher. Ce renoncement « actif » aux soins me semble être assez rare ou alors peut-être pour certains soins dentaires. En revanche, certaines personnes aux ressources modestes vont peut-être se mettre à délaisser peu à peu leur santé par fatalisme».

Les déremboursements impliqués ?

Les déremboursements de médicaments ont-ils un impact sur le reste à charge ? « Quand un produit est déremboursé, en général, le fabricant augmente son prix mais, dans le même temps, son niveau de vente chute d’environ 80 % », indique Claude Le Pen, en constatant l’ambivalence de certains responsables politiques. « Quand on dérembourse, c’est en principe pour que les patients ne consomment plus un médicament jugé « inutile ». Or peut-on parler de renoncement aux soins quand on renonce à quelque chose d’inutile ? D’un côté, on dénonce le fait que la France consomme trop de médicaments, que c’est la faute du lobby des laboratoires et de la visite médicale… Mais dès qu’on dérembourse, le spectre du renoncement aux soins est brandi ».

D’après un entretien avec Claude Le Pen, professeur d’économie de la Santé, université Paris-Dauphine.

 ANTOINE DALAT

Source : Bilan spécialistes