Peut-il y avoir une contrainte éthique ? Une légitimité de la force dans le soin ? L'injonction du Conseil constitutionnel à réécrire l'article du Code de santé publique sur l'isolement et la contention ravive les débats autour de la contrainte dans le soin en psychiatrie.
Sans la considérer comme un soin, « la contention peut être la condition d'un accès aux soins, par exemple, quand on est face à un colosse débordé par sa violence qui veut s'en prendre à vous », considère le Dr Radoine Haoui, président de Commission médicale d'établissement (CME), tenant d'un certain pragmatisme, eu égard aux tensions sur les effectifs qui minent la psychiatrie.
Le Dr Georges Berthon, psychiatre et docteur en éthique médicale, va plus loin. « L'isolement et la contention en psychiatrie ne sont pas des pratiques policières. Contenir une personne désorganisée, qui a perdu son unité psychique et sa liberté intérieure, lui faire une prothèse de pensée, peut être de l'ordre du soin et de la bienfaisance », défend-il. À une condition toutefois : que l'usage de la force, « toujours heurtante dans le soin », soit légitimé par l'État, la collectivité, qui délègue ce droit à des professionnels formés. « Il ne doit pas s'agir d'un rapport de force entre deux libertés individuelles comme on pourrait le penser dans un cadre libéral », précise-t-il.
À l’inverse, d'autres professionnels, marquant la distinction entre isolement et contention, considèrent que cette dernière ne peut en aucun cas être un soin. « C'est une pratique de maîtrise du corps de l'autre », considère le Dr Mathieu Bellahsen, défenseur de la psychothérapie institutionnelle. Et de soutenir la proposition d'un moratoire d'un an sur la contention avant de l'interdire, portée par le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie ou l'UNAFAM. Il fait également sienne l'idée d'un plus grand rôle accordé à la personne de confiance, « pour demander des comptes, afin que le contrôle du JLD ne soit pas qu'un alignement formel sur les pratiques des psychiatres ».
Même l'isolement n'est pas sans susciter des questions éthiques. C'est notamment ce que montre une étude conduite en 2009 (1) par la Dr Nicole Cano (psychiatre à l'hôpital de La Conception, à Marseille et membre de l'espace éthique méditerranéen) sur 30 patients hospitalisés, à 21 et 28 jours après leur sortie de chambre d'isolement. Leur ressenti a été appréhendé à l'aune des principes éthiques de Childress et Beauchamp : bienfaisance, non-malfaisance, respect de l'autonomie. Si en majorité, ils percevaient une bienveillance de l'équipe, voire une utilité à l'isolement pour 43 % d'entre eux, ils étaient 70 % à se dire mal informés sur leur situation et sur l'après et 66 % ressentaient la mesure comme traumatisante, dévalorisante, voire punitive. « Il faut éviter ces mesures, et lorsqu'elles surviennent, reconnaître le patient comme l'agent de sa propre autonomisation et en le laissant exprimer son ressenti pour que cette expérience fasse sens », commente la Dr Cano.
Évolution des pratiques et des mentalités
Sur le terrain, difficile d'avoir des chiffres des mesures d'isolement et de contraintes. Et l'Observatoire des droits des patients en soins sans consentement, tarde à se mettre en place. « Il y a encore une énorme diversité des pratiques, parfois d'un service à un autre au sein d'un même hôpital », ont constaté le Pr Jean-Louis Senon et le Dr Michel Triantafyllou, au cours de leur mission pour la DGOS. « Cela s'explique par des traditions locales et des histoires différentes, des organisations diverses, un nombre variable de professionnels formés, réellement expérimentés, dans les services… Car le recours aux intérimaires gonfle peut-être les effectifs, mais pas toujours au profit de la qualité », explique le Dr Triantafyllou.
« On observe une prise de conscience, un intérêt pour la question et une détermination à aller de l'avant », complète le Pr Senon. Une évolution qui n'est pas sans lien avec les nombreuses prises de position du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la prévention des épisodes de violence, publiée en 2016, et sur l'isolement et la contention, en mars 2017. « Les équipes se les approprient ; le questionnement est désormais récurrent sur les mesures privatives de liberté que la psychiatrie autorise, alors que jusqu'en 1990, personne ne se posait de question avant de prescrire une injection à un patient en hospitalisation libre qui faisait une crise d'angoisse », a constaté le Dr Charles Alezrah, président du groupe de travail de la HAS. « Nous avons des consignes, cela nous aide », reconnaît la Dr Cano.
Pour autant, les psychiatres veulent se prémunir d'une extrême protocolisation (dérive d'une judiciarisation croissante de la médecine), qui assécherait la démarche éthique sans que le soin en ressorte grandi. « Ce n'est pas parce qu'on respecte le protocole à la lettre que nous sommes dans une démarche éthique. Nous devons toujours nous interroger sur nos pratiques à l'égard de ce patient-là », poursuit la psychiatre marseillaise.
Reste aussi à l'ensemble des soignants, voire de la société, à s'emparer de ces sujets, puisque des mesures de privation de liberté existent aussi aux urgences ou dans les établissements du médico-social, comme les EHPAD.
(1) Cano N et al. L'isolement en psychiatrie : point de vue des patients et perspectvies éthiques. Encephale (2010) doi :10.1016/j.encep.2010.04.013
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