« Le fait de mal dormir fait émerger des vulnérabilités parfois préexistantes. Les troubles du sommeil vont prédisposer à l’ensemble des troubles psychiatriques que ce soient les troubles de l’humeur, psychotiques ou addictologiques », décrit le Pr Pierre-Alexis Geoffroy, psychiatre et médecin du sommeil à l'hôpital Bichat (AP-HP) et au centre ChronoS du Groupe hospitalier universitaire Paris (GHU Paris psychiatrie et neurosciences). Son propos s'inscrit dans le programme du Congrès du sommeil qui s'est tenu du 22 au 24 novembre à Lille : « Préserver notre sommeil, c’est préserver notre santé », notamment notre santé mentale !
De plus en plus de médecins et patients sont sensibilisés au lien entre sommeil et santé mentale, mais « pas encore suffisamment », tranche le Pr Pierre-Alexis Geoffroy. Après le traitement d'un trouble psychiatrique, que ce soit une dépression ou un trouble anxieux, par exemple, plus de la moitié des patients vont conserver leurs troubles du sommeil, « ce qui va créer des résistances thérapeutiques ou des rechutes », alerte le spécialiste. Avant d'ajouter : « Bien souvent, les psychiatres se concentrent sur les symptômes psychiatriques. Les patients aussi et quand ils vont mieux, ils passent à autre chose, même si le sommeil n’est pas rentré dans l’ordre ». Or, santé mentale et troubles du sommeil sont étroitement intriqués.
Cauchemars et crises suicidaires
L'équipe du Pr Pierre-Alexis Geoffroy s'est penchée sur le lien entre cauchemars et crise suicidaire. Ils ont mené une étude sur 40 patients hospitalisés ayant survécu à leur tentative de suicide. Il en ressort que 80 % d’entre eux présentaient une altération dans leurs rêves dans les quatre mois précédant la crise suicidaire.
Ainsi, l'apparition de cauchemars ou de scénarios suicidaires peut être considérée comme un signal d’alerte. Le Pr Pierre-Alexis Geoffroy ajoute également : « Il a été démontré que chez les gens qui dorment moins de cinq heures par nuit, il y a quatre fois plus de suicides durant l’année par rapport à ceux qui dorment sept à huit heures ». L'humeur diminue avec la température centrale du corps. « Ces heures d’éveil nocturne où on est isolé et seul vont être des moments à risque de passage à l’acte suicidaire si on est en détresse », poursuit-il.
Personnaliser la médecine du sommeil
Des marqueurs biologiques du sommeil et du rythme circadien (température, fréquence cardiaque, etc.) sont associés à différentes pathologies psychiatriques. Ainsi,en théorie, en mesurant ces biomarqueurs chez un individu, il serait possible de prédire l'évolution de sa maladie.
Ces modèles fondés sur le sommeil sont particulièrement complexes et les données doivent être analysées sur une période assez longue. Toutefois, avec l'aide de l'intelligence artificielle, « nous avons montré que nous étions capables de créer un algorithme qui prédisait la dépression dans 90 % des cas à partir de 62 biomarqueurs mesurés chaque jour et analysés pendant six mois, créant ainsi une biosignature individuelle de la dépression », développe le Pr Pierre-Alexis Geoffroy.
Il souhaite que cet outil soit accessible au plus grand nombre et simple d’utilisation. « Quand vous avez un patient souffrant de dépression, vous l’équipez de différents capteurs, qui mesurent certains paramètres du rythme circadien sur un laps de temps donné. Puis, vous, sur votre ordinateur vous recevez les pourcentages que le patient évolue vers tel ou tel état, le pourcentage qu'il réponde à tel ou tel traitement. »
Essor des thérapies numériques
Pour soigner l'insomnie, le traitement de référence n’est pas la prise de somnifères. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), dont l’efficacité a été prouvée par de nombreuses méta-analyses, est le traitement de première ligne. L’émergence de thérapies en ligne en démocratise l’accès. Et certaines études montrent que leur efficacité est comparable à la thérapie en face-à-face. Le Pr Pierre-Alexis Geoffroy nuance : « Il n’y a pas le même recul, bien entendu, mais globalement, il y a quand même de nombreuses preuves démontrant l'efficacité de ces thérapies en ligne. De plus, les TCC traiteraient également les symptômes de la dépression ».
Il cite notamment Kanopée, une application proposant un repérage clinique des troubles du sommeil et des conseils par un compagnon virtuel. Le psychiatre ajoute : « Le numérique se déploie dans toutes les thérapies psychiatriques. Elles ne remplacent pas le face-à-face mais elles proposent des champs complémentaires. La réalité est que des gens n’ont pas forcément accès à ces traitements de visu et n'en ont pas nécessairement le besoin ou l'envie. Le numérique apporte des solutions alternatives, accessibles, et peut-être aussi moins chères pour le système de santé ». Des labels tels que CE et DM (pour dispositif médical) garantissent que ces solutions répondent à un certain nombre de critères de qualité.
La luminothérapie équivaut à la prise d'antidépresseurs
Utilisée notamment pour traiter la dépression saisonnière, où elle a déjà fait ses preuves, la luminothérapie s'avère également particulièrement efficace pour traiter des dépressions sévères. Le Pr Pierre-Alexis Geoffroy et son équipe ont ainsi montré, par une méta-analyse, que cette méthode est aussi efficace que les antidépresseurs en traitement de première intention.
Selon le patient, ses préférences et ses tolérances aux médicaments, il pourra être envisagé par le médecin de lui prescrire des antidépresseurs ou une luminothérapie. Le psychiatre précise : « De plus, l’effet de l'association des deux est supérieur à une monothérapie, donc chez les patients sévères on aura tendance à les prescrire en même temps ».
D'autres chronothérapeutiques ont fait l'objet de méta-analyse par l'équipe du Pr Pierre-Alexis Geoffroy. Ils ont montré que « la mélatonine était un traitement efficace contre l’insomnie, à condition d’être administrée sous forme à libération prolongée et à une dose minimale de 2 mg [...] surtout chez les individus âgés de 55 ans, âge où la glande pinéale responsable de la production naturelle de mélatonine montre des signes de déclin », lit-on dans le compte rendu du Congrès du sommeil.
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