Maladies auto-immunes

Après les CAR-T cells, les anticorps bi-specifiques ?

Publié le 31/10/2024
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Utilisées surtout en hémato-oncologie, les cellules CAR-T (ou CAR-T cells) semblent efficaces dans certaines maladies auto-immunes réfractaires dépendantes des lymphocytes B CD19+. Mais leur coût et la lourdeur des procédés de fabrication limitent une utilisation à large échelle. Trois publications récentes - concernant des patients atteints de lupus, sclérodermie, Sjögren et PR sévères et réfractaires - suggèrent que certains anticorps bi-spécifiques pourraient avoir un effet proche, avec des contraintes moindres (1-3).

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Les cellules CAR-T sont des lymphocytes modifiés génétiquement pour exprimer un récepteur capable de reconnaître un antigène (Ag) spécifique (ici le CD19) exprimé par les cellules cibles (ici les lymphocytes B). La liaison des cellules CAR-T avec les lymphocytes B CD19+ entraîne l’activation des cellules CAR-T et l’élimination des lymphocytes B CD19+ par effet cytotoxique.

Cette stratégie a montré des résultats très prometteurs avec une efficacité thérapeutique chez 15 patients atteints de maladies auto-immunes sévères résistantes aux traitements habituels (4). Cependant, le coût et la lourdeur actuelle de préparation des cellules CAR-T sont des freins à un développement rapide et de grande échelle.

Des données récentes suggèrent que les anticorps bispécifiques engageant les cellules T (Bispecific T cell engagers-BiTEs) pourraient offrir une alternative moins contraignante.

Ces anticorps reconnaissent le CD3 des lymphocytes T et l’antigène de maturation des lymphocytes B (BCMA) exprimé par les lymphocytes B, les plasmoblastes et les plasmocytes. Ils sont constitués de deux fragments variables d’une chaîne d’immunoglobuline reliés par un adapteur flexible créant un court pont entre les lymphocytes T et B. La liaison de ces anticorps aux deux sites antigéniques active le lymphocyte T CD3+ entraînant la production et la libération de la perforine qui crée des pores et induit la mort des lymphocytes B. Ce qui reproduit l’effet des cellules CAR-T.

Le premier anticorps bispécifique BiTEs, le blinatumomab est utilisé dans les leucémies aiguës lymphoblastiques. L’anticorps bispécifique teclistamab a montré son efficacité dans le myélome.

Des cas de rémission

Deux séries de cas publiées dans le NEJM décrivent par ailleurs l’efficacité de cet anticorps bispécifique teclistamab chez une patiente atteinte de lupus grave (atteinte rénale classe II et V, anémie hémolytique, lésions vésico-bulleuses) et 4 patients atteints de maladies auto-immunes (une sclérodermie avec calcinose et pneumopathie interstitielle, une maladie de Gougerot-Sjögren avec myosite et pneumopathie interstitielle, une dermatomyosite avec anticorps anti-MDA5 positif et pneumopathie interstitielle et une polyarthrite rhumatoïde -PR-) (1, 2). Les 5 patients étaient résistants à plus de 5 lignes thérapeutiques dont le rituximab pour les 4 derniers patients et le belimumab et l’anifrolumab dans le cas du lupus.

Dans le cas du lupus, le traitement par teclistamab a induit une rapide rémission permettant l’arrêt des autres traitements dont les corticoïdes. Pour les 4 autres maladies auto-immunes, le traitement par teclistamab a aussi été très efficace permettant l’arrêt des immunosuppresseurs pour tous et des corticoïdes pour 3 patients. Trois patients ont développé un syndrome de libération cytokinique de grade 1 ou 2. La patiente atteinte de lupus et 3 autres patients ont eu des infections (sinusites, infection cutanée, herpès et pneumopathie). Au décours du traitement, les lymphocytes B et les plasmocytes sont déplétés, on observe une diminution des IgA, IgM et IgG, ainsi que les taux des anticorps pathogènes.

Ré-initialisation du système immunitaire

De son côté, le premier anticorps BiTEs, le blinatumomab a été utilisé à titre compassionnel pour 6 PR résistantes à 7 lignes thérapeutiques dont les anti-TNF, les anti-IL6, les JAK inhibiteurs, l’abatacept (n=3) et le rituximab (n=3) (3). Le traitement a aussi été rapidement efficace avec diminution des anticorps anti-CPP et déplétion des lymphocytes B. Il a entraîné pendant 24-48 heures de la fièvre et un syndrome de libération cytokinique de faible grade. Les analyses des profils des lymphocytes B ont montré une perte des cellules B mémoires et un enrichissement des B naïves, reproduisant une « ré-initialisation du système immunitaire » comme observée avec les cellules CAR-T.

Ces données ouvrent des perspectives thérapeutiques efficaces pour les maladies auto-immunes dépendantes des lymphocytes B

Références
1. Teclistamab-Induced Remission in Refractory Systemic Lupus Erythematosus. Alexander T et al. N Engl J Med. 2024 Sep 5;391(9):864-866. doi: 10.1056/NEJMc2407150
2. BCMA-Targeted T-Cell-Engager Therapy for Autoimmune Disease. Hagen M, et al. N Engl J Med. 2024 Sep 5;391(9):867-869. doi: 10.1056/NEJMc2408786.
3. Bispecific T cell engager therapy for refractory rheumatoid arthritis. Bucci L, et al. Nat Med. 2024 Jun;30(6):1593-1601. doi: 10.1038/s41591-024-02964-1.
4. CD 19 CAR T cells therapy in auto-immune disease: case series with follow-up. Müller F et al. NEJM 2024.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr