L’allopurinol est le THU de référence et permet d’obtenir une uricémie cible (inférieure à 360 µmol/l) chez plus de 95 % des patients traités en moyenne à 460 mg/l (1). Son principal risque est l’allergie cutanée grave, associé à 30 % de mortalité. Les facteurs augmentant ce risque allergique sont la présence de l’antigène HLAB5801 (très prévalent dans la population asiatique et africaine), la MRC sévère de stade 4/5, un ratio (dose initiale de l’allopurinol/débit de filtration glomérulaire) supérieur à un, et l’utilisation des diurétiques.
De l’allopurinol sans limite de dose
Une récente étude confirme l’efficacité équivalente de l’allopurinol, par rapport au fébuxostat, en cas de stratégie de traitement hypouricémiant (THU) à la cible, y compris chez les patients avec une maladie rénale chronique (MRC) de stade 3 (2). Parmi les 749 participants, 81,1 % des sujets sous allopurinol (400 mg/jour de dose médiane) avaient une uricémie à la cible (< 360 µmol/l) après 72 semaines de traitement, contre 78,4 % sous fébuxostat (40 mg/jour). Dans le tiers de patients avec une MRC de stade 3, 78,8 % de ceux sous allopurinol avaient une uricémie inférieure à 360 µmol/l, contre 81,3 % sous fébuxostat. Un patient a développé une allergie cutanée grave après six semaines sous allopurinol, d’évolution favorable après l’arrêt du traitement. Ces résultats suggèrent que l’allopurinol pourrait être administré sans limitation de dose, y compris en cas de MRC de stade 3, à condition d’exclure les patients porteurs de l’antigène HLAB5801. La tolérance cardiovasculaire (CV) était identique entre les deux groupes.
Un effet cardioprotecteur ?
Des études anciennes ont suggéré un effet cardioprotecteur de l’allopurinol chez des patients goutteux. Cependant, deux méta-analyses ont donné des résultats discordants : l’une montre que le THU diminue le risque des événements CV, alors que l’autre ne retrouve pas cet effet protecteur. Avec un suivi moyen de 4,8 années, l’étude ALL-HEART (1), multicentrique et prospective, a montré que l’ajout d’un traitement par allopurinol (jusqu’à 600 mg/jour) ne diminuait pas les événements CV d’origine ischémique, par rapport à une prise en charge habituelle des maladies coronariennes. L’essai a inclus 5 721 participants (72 ans d’âge moyen, 75,6 % d’hommes, 99,2 % de sujets blancs) avec antécédents coronariens, mais sans maladie goutteuse. Parmi les 2 753 participants sous allopurinol, 314 (11 %) ont eu un événement CV versus 325 des 2 768 patients (11,3 %) avec un suivi habituel (risque relatif : 1,04, [0,89-1,21], p = 0,65). Cette étude ouverte, menée sur un grand effectif, suggère que l’allopurinol n’a pas d’effet cardioprotecteur chez des patients non goutteux. Observé dans certaines études de sujets souffrant de goutte, cet effet cardioprotecteur serait probablement indirect, secondaire par exemple à la dissolution des cristaux et donc à la disparition de l’inflammation de bas grade.
Prévention cardiovasculaire : réduire l’inflammation
L’inflammation vasculaire est un facteur essentiel dans la progression de l’athérosclérose et la survenue des événements CV. Trois études ont montré le bénéfice d’une réduction de l’inflammation dans la prévention des événements CV, en utilisant soit une faible dose de colchicine (4, 5), soit le canakinumab (6), un anticorps monoclonal dirigé contre l’interleukine-1 (IL-1). Ces médicaments ne diminuent pas le taux sanguin des lipides et n’ont pas de pouvoir antiagrégant. L’effet cardioprotecteur pourrait donc être inhérent à la baisse de l’inflammation, en réduisant la production de l’IL-1β, de l’IL-6 et de la protéine C réactive. Dépendantes de la production de l’IL-1β, les crises de goutte pourraient aggraver l’inflammation vasculaire et favoriser les événements CV. Selon une étude rétrospective cas-témoins, les patients ayant eu un événement CV auraient un risque accru de déclarer une crise de goutte, dans les 60 jours précédents (7). Dans les deux mois précédant l’événement CV, la prévalence des crises atteignait 2 %, versus 1,4 % chez les sujets indemnes d’évènement CV (OR = 1,93 [1,57-2,38]). Le risque de crise restait significativement plus élevé entre deux et quatre mois avant l’événement CV (OR = 1,57 [1,26-1,96]).
Ces résultats ont été confirmés par une étude cas-auto-contrôle, réalisée chez 1 421 patients avec crise de goutte et événement CV, sur une période de 720 jours. Un taux d’événement CV de 2,49 pour 1000 personnes-jour était observé dans les deux mois suivant la crise de goutte, versus 1,32 pour 1000 personnes-jour sur les périodes de référence (150 jours avant la crise ou au-delà de six mois après).
Ces données suggèrent que l’inflammation déclenchée par les crises augmente de façon transitoire le risque d’événement CV. Elles incitent ainsi à optimiser les mesures préventives des maladies CV, au décours d’une crise de goutte, et à poursuivre le traitement par colchicine pour son effet cardioprotecteur (4, 5).
Hôpital Lariboisière, Inserm UMR 1132, Bioscar
(1) Doherty M et al. Lancet 2018 ;392 :1403-1413
(2) O’Dell James R et al. NEJM Evid 2022; 1 (3)
(3) Mackenzie I et al. Lancet 2022; 400: 1195–205
(4) Tardif JC et al. N Engl J Med 2019 Dec 26;381(26):2497-2505
(5) Nidorf SM et al. N Engl J Med 2020 Nov 5;383(19):1838-1847
(6) Ridker PM et al. N Engl J Med 2017 Sep 21;377(12):1119-1131
(7) Cipolletta E et al. JAMA 2022 Aug 2;328(5):440-450
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