Facteurs de risque environnementaux

Polyarthrite rhumatoïde : attention aux multiples expositions

Publié le 07/04/2023
Article réservé aux abonnés
Les facteurs environnements sont impliqués tant dans la survenue que dans l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde (PR). Mais quelles sont pour l’individu les expositions à risque ? Quelles préconisations chez les sujets prédisposés et les patients atteints ?

Crédit photo : DR

Les facteurs génétiques seraient responsables d’environ 40 à 60 % du risque de développer une PR. Le reste serait donc lié à des facteurs stochastiques ou environnementaux (1). Selon le modèle physiopathologique actuellement retenu, les sujets porteurs des gènes de prédisposition à la maladie commenceraient par développer, suite à des expositions environnementales, une auto-immunité asymptomatique caractérisée par la présence des anticorps anti-peptides citrullinés (ACPA), spécifiques de la PR. Une partie de ces individus, probablement suite à une pression environnementale ultérieure, progressent vers un état de PR avérée. Une fois la maladie développée, les facteurs environnementaux interagissent avec le terrain du patient et peuvent aussi influencer le phénotype de la maladie, son évolution, et sa réponse aux traitements (1). La totalité des expositions, auxquelles l’individu est confronté à partir de l’âge prénatal, constituent l’exposome (2). Une distinction ultérieure peut être faite entre les expositions externes (air respiré, eau consommée…) et celles dites internes (processus inflammatoire, métabolisme, hormones, microbiote). La littérature est vaste sur le rôle de ces expositions concernant le risque de développer une PR, ou de moduler la maladie après sa survenue. Cependant, le niveau de preuve est limité, la grande majorité des données étant issues d’études observationnelles dont les résultats (et la qualité) sont très hétérogènes.

Un environnement exterieur en cause

Le tabac représente la principale exposition externe associée à la survenue de la PR. Il montre une interaction entre le terrain génétique, et un risque croissant de développer une PR selon le nombre de copies des gènes de prédisposition présentes chez les individus (1). L’autre exposition fortement associée à la survenue de la PR est l’inhalation de silice cristalline, principal composant de la croûte terrestre et donc de la poussière. Tous les métiers, exposant à un empoussièrement important, sont associés à une incidence accrue de maladies auto-immunes, dont la PR. Une association similaire a été décrite avec la pollution de l’air, en particulier avec l’exposition aux particules fines (1,3). Ces éléments plaident en faveur de l’hypothèse d’une maladie qui pourrait débuter dans la muqueuse pulmonaire, interface entre l’organisme et l’environnement. Ainsi, le tabac est capable d’induire les enzymes produisant les peptides citrullinés dans la muqueuse pulmonaire, qui serait donc une source (ou une cible) pour les ACPA.

D’autres interfaces ont attiré l’intérêt de la recherche, dont la muqueuse orale. La maladie parodontale apparaît fortement associée à la PR (et au tabac), et la bactérie porphyromonas gingivalis, pathogène important de la parodontite, est aussi capable de produire des peptides citrullinés (1). Par ailleurs, la muqueuse intestinale s’avère être une autre interface d’interaction avec l’extérieur, ce qui interroge sur le rôle de l’alimentation et du microbiote intestinal dans la survenue de la maladie. Cependant, aucun régime n’a été associé de façon claire au risque de PR (3). Le microbiote pourrait aussi jouer un rôle important via son activité sur la perméabilité intestinale, mais les données encore sont très préliminaires. La consommation de poisson gras (source d’acides gras essentiels de la série oméga-3) a été associée à un moindre risque de PR, mais les études sont contradictoires (3). De façon similaire, il semblerait que des taux érythrocytaires élevés en acides gras oméga-3 soient associées à un moindre risque de progression vers une PR avérée, chez des individus prédisposés. Quant à la consommation d’alcool, elle est liée de façon dose-dépendante à une réduction du risque de PR. Cependant, son rapport bénéfice-risque ne justifie pas sa promotion (3).

Des facteurs de risque internes

L’obésité, associée à des altérations métaboliques et à un état d’inflammation de bas grade, augmente le risque de survenue d’une PR. Parmi les expositions internes, il existe aussi la vitamine D. Considérée comme une hormone dans sa forme active, elle nécessite souvent d’être introduite sous forme de complément alimentaire. Dans une étude interventionnelle de grande ampleur, la supplémentation en vitamine D (2 000 unités par jour pendant cinq ans) réduisait d’environ 20 % l’incidence des maladies auto-immunes, telles que la PR. Néanmoins, cet effet n’était plus significatif deux ans après l’arrêt de la supplémentation (4).

La PR étant trois fois plus fréquente chez les femmes, le rôle des hormones féminines a été étudiée, mais les résultats sont ne sont pas clairs. Des pics d’incidence ayant été observés en post-partum et après la ménopause, il semblerait que les phases de variations hormonales pourraient jouer un rôle. Cependant, aucun effet significatif sur le risque de PR n’a été démontré avec les contraceptifs oraux, ni avec le traitement hormonal substitutif. Il semblerait qu’un ménarche précoce et une ménopause tardive, soit une plus longue exposition aux œstrogènes, pourraient réduire le risque de PR (1).

Et après la survenue de la maladie ?

Une fois la PR développée, la consommation de tabac est associée à une maladie plus active et plus sévère, ainsi qu’à une moindre réponse thérapeutique à certains traitements de fond, en particulier le méthotrexate et les anti-TNF. Quant à l’obésité, elle est aussi liée à une augmentation de l’activité de la maladie, une moindre qualité de vie, un handicap plus important, et une réduction de la réponse aux traitements anti-TNF. La perte de poids améliore tous ces paramètres.

Les acides gras oméga-3 pourraient en revanche avoir un rôle de modulation du processus inflammatoire. Une supplémentation d’au moins deux grammes par jour semble réduire le nombre d’articulations douloureuses, ainsi que la consommation d’antalgiques et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (5). Selon une étude, une supplémentation à plus fortes doses (cinq grammes par jour) diminuerait la nécessité de changer de traitement et doublerait la probabilité d’atteindre la rémission.

Le régime méditerranéen a certes montré des résultats contradictoires sur le risque de PR et sur l’activité de la maladie. Cependant, il est conseillé dans les recommandations nutritionnelles de la Société française de rhumatologie chez les sujets atteints de rhumatismes inflammatoires, pour ses effets cardiométaboliques (6).

Service de rhumatologie, hôpital Avicenne (Bobigny), Université Sorbonne Paris Nord, Inserm UMR1125 physiopathologie, cibles et traitements de la PR
(1) Klareskog L et al. The importance of differences; On environment and its interactions with genes and immunity in the causation of rheumatoid arthritis. J Intern Med; 2020; 287: 514-533
(2) Biton J et al. The exposome in rheumatoid arthritis. Joint Bone Spine 2022;89(6):105455.
(3) Bäcklund R et al. Diet and the risk of rheumatoid arthritis - A systematic literature review. Semin Arthritis Rheum 2023;58:152118.
(4) Hahn J et al. Vitamin D and marine omega 3 fatty acid supplementation and incident autoimmune disease: VITAL randomized controlled trial. BMJ 2022 Jan 26;376:e066452.
(5) Sigaux J et al. Impact of type and dose of oral polyunsaturated fatty acid supplementation on disease activity in inflammatory rheumatic diseases: a systematic literature review and meta-analysis. Arthritis Res Ther 2022.7;24(1):100.
(6) Daien C et al. Dietary recommendations of the French Society for Rheumatology for patients with chronic inflammatory rheumatic diseases. Joint Bone Spine. 2021;89(2):105319.

Pr Luca Semerano

Source : Bilan Spécialiste