L’essor des thérapies ciblées depuis le début des années 2000 a révolutionné la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde (PR), permettant un meilleur contrôle de l’activité inflammatoire de cette pathologie, et améliorant par là même son pronostic fonctionnel. Actuellement, les thérapies ciblées disponibles dans la PR comprennent quatre classes de biothérapies (anti-TNF, anti-IL6 récepteur, anti-CTLA4-Ig et anti-CD20) et une classe de traitements synthétiques ciblés (inhibiteurs de JAK).
Plusieurs arguments en faveur d’une décroissance des thérapies ciblées
Ces traitements, bien qu’indéniablement efficaces, présentent néanmoins plusieurs inconvénients ; premièrement, ils exposent les patients à des effets secondaires potentiellement sévères, et notamment à un surrisque infectieux (1). Deuxièmement, à l’exception des inhibiteurs de JAK, ils sont administrés sous forme injectable (intraveineuse ou sous-cutanée), ce qui est considéré comme contraignant par beaucoup de patients (2). Enfin, ces traitements sont onéreux (plus de 10 000 € par patient pour une année de traitement), et représentent donc un fardeau financier certain pour la société, la sécurité sociale les prenant intégralement en charge dans notre pays. Pour l’ensemble de ces raisons, les sociétés savantes rhumatologiques française et européenne recommandent d’envisager une décroissance des thérapies ciblées chez les patients en rémission prolongée (3). À ce jour, des études s’étaient principalement intéressées à la possibilité de décroître les anti-TNF (4), avec des résultats mitigés, mais aucun essai n’avait étudié cette possibilité avec le tocilizumab (TCZ, un anti-IL6 récepteur) ou l’abatacept (ABA, un anti-CTLA4-Ig).
L’essai multicentrique français Toledo (Towards the lowest efficacious dose), publié en ce début d’année dans Arthritis and Rheumatology (5), avait pour objectif d’évaluer la faisabilité d’une décroissance progressive du TCZ ou de l’ABA chez des patients adultes, atteints de PR, et en rémission sous traitement depuis au moins un an. Les sujets participants étaient randomisés entre deux bras : d’une part, le bras « maintien », dans lequel les injections de TCZ ou ABA étaient administrées à la fréquence usuelle au cours des deux années de suivi, et d’autre part le bras « décroissance », dans lequel les injections de TCZ ou ABA étaient progressivement espacées tous les trois mois, selon l’évaluation de l’activité de la maladie le jour de la visite de suivi, avec pour objectif un arrêt complet du traitement.
Des résultats en demi-teinte
Au total, 233 patients ont été inclus dans Toledo ; il s’agissait majoritairement de femmes (75,9 %), dont la PR évoluait depuis plus de dix ans en moyenne, et qui avaient reçu en moyenne trois lignes de traitements de fond avant d’initier le TCZ ou l’ABA. 80 % des participants présentaient des auto-anticorps positifs et des érosions osseuses à l’inclusion. À l’issue des deux années de suivi, 16,2 % des patients du bras « espacement » ont pu arrêter leur biothérapie, 46,9 % ont pu espacer les injections, et 36,9 % ont dû revenir à pleine dose. Cependant, la non-infériorité de la stratégie d’espacement des injections par rapport au maintien des traitements à pleine dose n’a pas été démontrée dans cette étude, que ce soit en termes d’évolution de l’activité de la maladie à deux ans (critère de jugement principal), de survenue de rechutes, de rechutes sévères, ou bien de progression radiographique de la maladie (critères de jugement secondaires). Aussi, cet essai montre que l’espacement des injections de TCZ ou d’ABA est un objectif atteignable chez plus de la moitié des participants, mais au prix d’un moins bon contrôle de la maladie. Ces résultats en « demi-teinte » peuvent cependant être expliqués par les caractéristiques de la population incluse dans cet essai, dont la PR était ancienne et sévère, comme en témoignent l’importante immunopositivité, les érosions osseuses ainsi que le nombre de lignes antérieures de traitements. Aussi, il n’est pas surprenant d’observer une rechute de la maladie à l’arrêt des traitements ayant induit la rémission.
Trouver la « dose minimale efficace » de traitement représente donc un enjeu important de la prise en charge de nos patients atteints de PR, afin de permettre d’alléger le fardeau associé aux thérapies ciblées tout en maintenant le contrôle de l’activité de la maladie. La manière de procéder reste néanmoins à définir.
Références
(1) Rutherford AI, Subesinghe S, Hyrich KL, Galloway JB. Serious infection across biologic-treated patients with rheumatoid arthritis: results from the British Society for Rheumatology Biologics Register for Rheumatoid Arthritis. Ann Rheum Dis. 2018;77:905‑10
(2) Fazaa A et al. Adherence to biologic disease-modifying antirheumatic drugs in adult patients with rheumatic diseases. Therapies. 2021;76:467-74
(3) Smolen JS et al. EULAR recommendations for the management of rheumatoid arthritis with synthetic and biological disease-modifying antirheumatic drugs: 2012 update. Ann Rheum Dis. 2023;82:3-18
(4) Fautrel B et al. Step-down strategy of spacing TNF-blocker injections for established rheumatoid arthritis in remission: results of the multicentre non-inferiority randomised open-label controlled trial (STRASS: Spacing of TNF-blocker injections in Rheumatoid ArthritiS Study). Ann Rheum Dis. 2016;75:59‑67
(5) Kedra J et al. Towards the Lowest Efficacious Dose: Results From a Multicenter Noninferiority Randomized Open-Label Controlled Trial Assessing Tocilizumab or Abatacept Injection Spacing in Rheumatoid Arthritis in Remission. Arthritis Rheumatol. 2024
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