La nutrition dans son ensemble comprend la composition des aliments, l’apport calorique, la durée et la fréquence des jeûnes périodiques, et le temps passé à l’alimentation au cours du rythme circadien. Sa modulation est probablement le moyen le plus efficace, faisable et toléré, pour améliorer la santé et l’espérance de vie en diminuant les maladies liées au vieillissement. Les réponses cellulaires et moléculaires à la régulation énergétique, et donc au nutriment, sont hautement conservées depuis les organismes unicellulaires jusqu’à l’Homme. Des données actuelles suggèrent que l’obtention des effets bénéfiques d’une intervention nutritionnelle dépend de l’âge, du sexe, de facteurs génétiques et des conditions métaboliques de chaque individu.
Une variabilité individuelle
Plusieurs types de jeûne ont été évalués et semblent avoir les mêmes effets bénéfiques dans les modèles précliniques, bien qu’il n’y ait pas eu d’étude comparative. Ainsi, le jeûne intermittent (deux jours de jeûne non consécutifs par semaine) ou périodique (deux jours consécutifs de jeûne ou de RC par semaine) augmente la longévité des animaux. La réduction du temps journalier de nutrition, sans diminution calorique, est une stratégie d’intervention nutritionnelle qui suscite l’intérêt croissant du public, en raison de sa facilité d’application et de ses effets bénéfiques prometteurs. Chez les drosophiles par exemple, la réduction du temps de nutrition entre 10 et 16 heures augmente la longévité de 30 % par rapport à un régime normal (1). Pour les animaux diurnes, l’allongement du temps de jeûne journalier (de 18 heures) augmente et amplifie l’activation nocturne de l’autophagie, à l’origine des effets bénéfiques (1). Chez la souris, la réduction du temps d’accès alimentaire à huit heures par jour sans RC a un effet protecteur contre l’obésité, la stéatose hépatique et l’insulinorésistance (2). Les mécanismes cellulaires et moléculaires dépendent aussi d’une modulation circadienne des protéines impliquées dans l’autophagie. La perturbation du rythme circadien, par manipulation des gènes codant pour les protéines qui contrôlent l’horloge biologique ou par inhibition pharmacologique, annule l’effet du jeûne, provoque une obésité et un diabète, et diminue l’espérance de vie dans les modèles murins (3).
Chez l’Homme, les effets varient en fonction des essais cliniques, de la population étudiée, de l’âge, du sexe et du protocole expérimental. Dans un essai randomisé (en crossover) mené sur six semaines chez des hommes prédiabétiques (4), une réduction du temps alimentaire à six heures par jour, avec un dîner avant 15 heures, n’améliore ni le contrôle glycémique ni les taux sériques de l’IL-6 et de la protéine C réactive. Mais les patients du groupe expérimental avaient une amélioration de la sensibilité à l’insuline et de la tension artérielle. À l’inverse, chez des femmes souffrant d’un syndrome des ovaires polykystiques (5), une alimentation peu calorique le soir (980 kcal au petit-déjeuner, 640 kcal au déjeuner et 190 kcal au dîner) permettait une perte de poids plus importante, une meilleure sensibilité à l’insuline et un taux supérieur d’ovulation par rapport à un dîner plus calorique (190, 640 et 980 kcal lors des trois repas respectifs). L’ensemble de ces résultats suggère une variation interindividuelle importante et la nécessité d’adapter de façon personnalisée les stratégies d’intervention nutritionnelle.
Les mécanismes cellulaires et moléculaires de ces différentes interventions nutritionnelles sont conservés au cours de l’évolution des espèces. Ils impliquent l’axe de l’hormone de croissance, de l’insuline, des facteurs de croissance IGF1 et FGF21, des voies de signalisation PI3K-AKT et mTOR/S6K, de l’autophagie et de l’homéostasie protéiques, de la régulation épigénétique, et de la lipolyse avec production de corps cétoniques (3).
L’influence de l’autophagie
L’autophagie est une fonction cellulaire très conservée au cours de l’évolution, permettant le recyclage et l’élimination des organites altérés et des protéines défectueuses, mal repliées ou condensées. La dégradation de ces éléments dans les lysosomes permet à la cellule de générer des précurseurs métaboliques, nécessaires à la production de composants indispensables à sa survie dans les situations de carence nutritive. L’autophagie assure ainsi l’intégrité cellulaire et l’homéostasie intracellulaire. Plus généralement, c’est un mécanisme de dégradation de divers composants extra- et intracellulaires par les lysosomes. De nombreux variants de gènes codant pour des protéines impliquées dans l’autophagie sont associés aux pathologies inflammatoires, telles que la maladie de Crohn, la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux disséminé ou encore la fièvre méditerranéenne familiale (6,7).
L’autophagie module l’inflammation et la réponse immunitaire par de multiples mécanismes régulant la qualité et le fonctionnement des mitochondries et autres organites, le métabolisme cellulaire et la production des espèces réactives de l’oxygène, ainsi que la dégradation des différentes protéines de signalisation intracellulaire. Elle régule aussi le développement, la différenciation, la polarisation et la fonction des cellules immunitaires (6,7). L’activation de l’autophagie via la protéine kinase activée par l’adénosine monophosphate (AMPK) diminue généralement la réaction inflammatoire en favorisant la différenciation des cellules T régulatrices, la quiescence des cellules T et la polarisation M2 des macrophages. À l’inverse, l’inhibition de l’autophagie via la kinase mTOR augmente l’inflammation et la réponse immunitaire, en stimulant les cellules T effectrices et la polarisation M1 des macrophages (6,7).
L’autophagie est activée dans des situations de carence nutritive et énergétique, comme au cours du jeûne et de RC. Ces derniers modulent l’expression de nombreuses molécules impliquées dans la régulation et l’exécution de l’autophagie, la signalisation des nutriments et le métabolisme énergétique. Par exemple, la RC active l’AMPK, un senseur énergétique qui inhibe la kinase mTOR, un répresseur de l’autophagie.
La production de corps cétoniques
Le glucose et les acides gras sont les deux principales sources d’énergie pour le fonctionnement des cellules. Après un repas, le glucose provenant du métabolisme alimentaire est utilisé ou stocké sous forme de glycogène dans le foie et les muscles. Les acides gras sont stockés sous forme de triglycérides dans le tissu adipeux. Les réserves énergétiques sont ainsi constituées pour environ 85 % de triglycérides, 14,5 % de protéines et 0,5 % de glycogène (musculaire 0,35 % ou hépatique 0,15 %). Lors du jeûne, le stock hépatique de glycogène est épuisé chez l’Homme en 12 à 24 heures, en fonction de l’activité physique. Il se produit alors une lipolyse dans les adipocytes, avec formation des acides gras et du glycérol à partir des triglycérides. La β-oxydation des acides gras dans le foie permet la formation des corps cétoniques (β-hydroxybutyrate [β-HOB], acétoacétate et acétone). Lors des périodes de jeûne, le cerveau (incapable de métaboliser les acides gras libres) utilise le corps cétonique β-HOB comme principal source d’énergie, en complément du glucose synthétisé par néoglucogenèse. La production des corps cétoniques est stimulée par le jeûne et la carence nutritive, l’activité physique, l’inflammation systémique, ainsi que par de nombreuses hormones comme l’insuline (effet inhibiteur), le glucagon et les corticoïdes (effet stimulateur). Elle suit un rythme circadien avec une concentration basse (100-250 µM) des corps cétoniques en période de prise de nourriture, et une élévation du taux plasmatique (1-2 mM) après 8 à 12 heures de jeûne, c’est-à-dire en début de matinée (8).
L’administration de la β-HOB, ou son induction par le jeûne ou un régime cétogène, diminue l’inflammation induite par le lipopolysaccharide, le TNF-α ou l’injection de microcristaux d’urate monosodique, en inhibant la production de médiateurs inflammatoires (prostaglandines E2, monoxyde d’azote, IL-1, IL-6) et le facteur de transcription NF-KB (9-10). La β-HOB diminue le stress endoplasmique, inhibe l’inflammasome NLRP3 et stimule une réponse antioxydante (9). Elle régule aussi la réaction inflammatoire, par modulations épigénétiques via plusieurs mécanismes.
Les effets bénéfiques sur la santé et la longévité du jeûne intermittent et de la RC sont bien documentés par les données précliniques. Ces interventions nutritionnelles représentent des moyens thérapeutiques potentiellement les plus efficaces, sans effet secondaire et peu coûteux pour la prévention et le traitement des maladies métaboliques et inflammatoires. La réponse obtenue dépend de facteurs génétiques et épigénétiques, de l’âge et du sexe. À l’avenir, le défi majeur est de pouvoir transposer de façon personnalisée ces approches nutritionnelles afin d’identifier, pour chaque patient, l’intervention susceptible d’améliorer sa santé en déterminant la composition, la quantité et la durée de son alimentation.
Hôpital Lariboisière et Université de Paris Cité
(1) Ulgherait M et al. Nature 2021;598:353–8
(2) Hatori M et al. Cell Metabolism 2012;15:848–60
(3) Green CL et al. Nat Rev Mol Cell Biol 2022;23:56–73
(4) Sutton EF et al. Cell Metabolism 2018;27:1212-1221.e3
(5) Jakubowicz D et al. Clin Sci (Lond) 2013;125:423–32
(6) Deretic V. Immunity 2021;54:437–53
(7) Zhong Z et al. Cell 2016;166:288–98
(8) Puchalska P et al. Cell Metabolism 2017;25:262–84
(9) Youm Y-H et al. Nat Med 2015;21:263–9
(10) Goldberg EL et al. Cell Reports 2017;18:2077–87
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