LE QUOTIDIEN : Quelles sont les origines des différentes douleurs chroniques post-Covid ?
Pr VERGNE-SALLE : L’effet de la pandémie de Covid-19 sur la santé se manifeste chez des personnes infectées, mais aussi chez celles épargnées par l’infection. C’est ainsi que différentes possibilités ont été émises sur l’origine des douleurs chroniques (1). Tout d’abord, celles-ci peuvent faire partie d’un syndrome post-viral ou être secondaires à des lésions organiques associées au virus, dans le cadre d’un Covid long. Elles peuvent aussi être liées à l’exacerbation de douleurs physiques préexistantes ou de difficultés psychologiques liées à l’impact de la pandémie.
Quel est l’effet de la pandémie chez les patients ayant déjà des douleurs chroniques rhumatologiques ?
Certains patients souffrant de douleurs chroniques peuvent éprouver une exacerbation de leurs symptômes pour diverses raisons : l’isolement social, l’accès aux soins, la diminution d’activité physique, la peur du Covid-19, l’anxiété, le catastrophisme… Chez les patients fibromyalgiques, plusieurs études ont montré une augmentation de tous les symptômes. La perception d’aggravation était principalement liée au coping passif. Concernant l’impact sur les rhumatismes inflammatoires chroniques, les données sont plus partagées. Selon l’étude RHEUMAVID (2) conduite dans sept pays européens chez 1 700 patients, 75,8 % des participants ont rapporté une augmentation de leurs douleurs. A contrario, dans une cohorte suisse, il n’y avait pas de modification significative. Le vécu du patient est très important à prendre en compte.
Qu’en est-il en cas de Covid long ?
La notion de Covid long est apparue dans un éditorial du Lancet en décembre 2020 (3). Il a été observé une persistance des symptômes (douleurs articulaires, handicap physique…), suite aux premières manifestations, chez plus de 20 % des patients après cinq semaines, et chez plus de 10 % trois mois après l’infection. Une étude italienne (4) a bien montré la fréquence des symptômes post-Covid, 60 jours après une hospitalisation : fatigue (53,1 %), dyspnée (43,4 %), arthralgies (27,3 %) et douleur thoracique (21,7 %). Les patients ayant séjourné en soins intensifs sont plus à risque de handicap fonctionnel, de détresse psychologique et de douleur chronique. Il n’existe pas de démonstration nette d’arthrite ou de déclenchement d’affections rhumatologiques dysimmunitaires post-virales. En revanche, il existe une prévalence significativement plus élevée de douleurs musculosquelettiques (rachis cervical, membres inférieurs…). Une douleur chronique de novo a été observée chez environ 20 % des patients hospitalisés pour Covid-19, surtout en cas d’anosmie (5).
Comment faire le diagnostic ?
Concernant le Covid long, la Haute Autorité de santé (HAS) a élaboré des « réponses rapides » pour les patients répondant aux critères suivants : un épisode initial symptomatique de la maladie, la présence d’au moins un des symptômes initiaux au-delà de quatre semaines suivant le début de la phase aiguë, et des symptômes initiaux et prolongés non expliqués par un autre diagnostic sans lien connu avec le Covid-19. Parmi les symptômes prolongés les plus fréquents, on retrouve les douleurs musculaires, tendineuses ou articulaires. Les mécanismes physiopathologiques du Covid long ne sont pas encore bien élucidés. Il pourrait s’agir de lésions liées à l’inflammation (orage cytokinique) ou en rapport avec le tropisme du virus pour le système nerveux central. Une récente étude (6) menée chez plus de 26 000 patients de la cohorte française CONSTANCES, chez lesquels les anticorps anti-Sars-CoV-2 ont été dosés, vient de jeter un doute sur le lien direct entre ces symptômes et le Covid-19. Les résultats montrent que les symptômes persistants sont plus associés à la croyance d’avoir contracté le Covid-19 qu’à la positivité de la sérologie. Il est donc nécessaire de vérifier, si possible, l’infection par anti-Sars-CoV-2 avant de poser le diagnostic de Covid long.
Devant un patient avec des symptômes prolongés au décours du Covid-19, la HAS préconise d’éliminer d’abord une complication de la phase aiguë, une décompensation de comorbidité et une autre cause que l’infection par le Sars-CoV-2. Elle liste certains examens à réaliser : hémogramme, protéine C réactive, fonction rénale, ionogramme, transaminases, glycémie à jeun, créatinine phosphokinase, thyréostimuline, bilan immunologique, électromyogramme, IRM médullaire ou cérébrale si besoin…
Quelle est la prise en charge ?
Il existe de nombreuses recommandations (NICE, WHO, CDC) ainsi que les réponses rapides de la HAS. La majorité des patients peut être suivie en soins primaires, par le médecin traitant, dans le cadre d’une prise en charge holistique globale, personnalisée et centrée sur le patient. Il faut inciter ce dernier à s’autogérer et à avoir des activités physiques. Les traitements actuels sont symptomatiques : les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être prescrits si besoin. La rééducation a une place centrale. Il faut aussi explorer les troubles anxieux et dépressifs, afin de proposer un soutien psychologique si nécessaire.
(1) Clauw DJ et al. Pain 2020;161(8):1694-7.
(2) Garrido-Cumbrera et al. RMD open 2021.
(3) Facing to long Covid. Lancet 2020 Dec 12;396(10266):1861.
(4) Carfi A et al. JAMA 2020;11;324(6):603-5.
(5) Carvalho-Soares FH et al. Eur J Pain 2021;25(6):1342-54.
(6) Matta J et al. JAMA Intern Med 2022;182(1):19-2.
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