« Avec 7 800 infirmières scolaires pour 69 000 établissements scolaires, la réalité des chiffres est là : nous n'avons pas les moyens de mettre en place une politique de santé sexuelle à destination des élèves. »
Les mots sont amers dans la bouche de Sapfia Guereschi, infirmière dijonnaise de l'éducation nationale, lors d'un colloque du CNS sur la prévention des infections sexuellement transmissibles chez les jeunes. Le Pr Patrick Yeni, président du CNS ne fait pas un constat différent. « Les CESC (comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté) ne jouent pas toujours leur rôle, estime-t-il, certains ne fonctionnent pas du tout, d'autres ne sont que des chambres d'enregistrement de décisions prises ailleurs ». Les CESC sont en effet censés définir un programme d'éducation à la santé et à la sexualité et de prévention des comportements à risque. Ils doivent faire l'objet d'une enquête nationale en 2018 par la direction générale de l'enseignement scolaire.
Pour le Dr Luc Ginot, directeur de la promotion de la santé et de la réduction des inégalités à l'ARS Île-de-France les ouvertures de nouveaux postes ne sont pas suffisantes : « 40 % des postes de médecines scolaires sont vacants en Seine-Saint-Denis, rappelle-t-il, il faut créer les conditions qui incitent les professionnels à s'installer ».
Les besoins sont pourtant énormes, comme le montre l'expérience de Christine Thouroude, infirmière sexologue auprès de l'éducation nationale : « Lorsque des jeunes filles viennent nous voir, un lundi matin, pour un test de grossesse, c’est là qu’on se rend compte de l'importance d'une infirmière formée à l’éducation à la sexualité. Ces jeunes filles ont besoin d’un dialogue sur la place dans le couple. Il faut leur apprendre à savoir dire non », raconte-t-elle.
Le mot VIH disparaît
De leur côté les associations qui œuvrent dans le domaine de la santé sexuelle des jeunes voient leurs financements publics fondre. « Le mot VIH est en train de disparaître des offres de financement », prévient Sarah Durocher, accueillante au Planning Familial d'Orléans, qui a dû se séparer de plusieurs salariés ces dernières années suite à la baisse de l'aide de l'État. « Il y a beaucoup de peur et de plus en plus de désinformation chez les jeunes autour de ces questions-là, notamment dans les milieux ruraux, frappés par les inégalités de territoires », ajoute-t-elle.
Pour Nicole Hesnault Pruniaux, vice-présidente du CNS, ces chiffres sont la conséquence du fait que « les services publics se sont désengagés des centres hospitaliers, ce qui pousse naturellement la santé sexuelle vers les médecins généralistes ». Selon les chiffres de la caisse nationale de l'assurance maladie, 15 % des sérologies VIH initiées par les médecins généralistes concernent les 15 à 19 ans, (10 % pour les syphilis, et 15 % pour les chlamydias). Et 44 % des gonococcies ont été diagnostiquées en France par un médecin généraliste.
Les centres pluridisciplinaires, une planche de salut ?
« S'il dépiste beaucoup d'IST, le médecin généraliste fait-il pour autant de la prévention ? », questionne le Dr Didier Ménard, ancien médecin généraliste dans la cité du Franc Moisin à Saint-Denis (93). « Je ne le pense pas répond-il, compte tenu de sa charge de travail, il ne peut pas s'occuper efficacement de la santé sexuelle des jeunes de son bassin de population » affirme-t-il.
Pour assurer ce genre de mission, le Dr Ménard place ses espoirs dans les nouveaux modes d'exercice : les maisons et centres de santé pluridisciplinaire, à l'image de la Place Santé, le centre de santé social et solidaire de la cité du Franc Moisin, qu'il dirige depuis sa fondation en 2011.
La moitié de la population du Franc Moisin a moins de 25 ans, et 22 % de la population de moins de 25 ans a entre 16 et 24 ans. L'enquête publiée en juin dernier sur la santé de ces jeunes du Franc Moisin est, à ce titre, révélatrice des besoins des adolescents en termes de santé sexuelle. Pour 62 % d'entre eux, les IST et les grossesses non désirées constituent un important problème de santé. À la question « à qui vous vous adressez quand vous avez des questions en matière de santé? », un tiers répond s'informer par le biais de leur médecin, 17 % via internet, 15 % via leurs familles et 1 jeune sur 5 n’a pas de réponse.
S'il est satisfait du travail au Franc Moisin où 6 jeunes médecins généralistes se sont installés et collaborent avec infirmières, assistantes sociales et médiatrices, le Dr Ménard est inquiet de « la précarité économique des structures comme la nôtre : je passe mon temps à chercher des subventions, ajoute-t-il. Notre gros problème actuel est le risque de perdre les emplois aidés qui représentent un tiers de notre personnel, dont des fonctions essentielles : accueil en salle d'attente, médiatrice, travail administratif… »
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