Par le Pr Philippe Brunet*
FAUT-IL remettre en question les recommandations sur la dialyse dans l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT)? Il est possible de se le demander après la publication dans le New England Journal of Medicine d’août 2010 de l’étude IDEAL (Initiating Dialysis Early and Late). Il s’agit de la première étude randomisée analysant l’impact de la mise en dialyse précoce ou tardive sur la survie. Les résultats sont très surprenants car ils ne montrent pas de différence entre les deux types de prise en charge. L’opinion générale était jusqu’ici que la dialyse devait être débutée de façon précoce pour éviter les complications de l’IRCT. Cette idée qui s’appuie sur le bon sens clinique doit-elle être abandonnée ? Il faut regarder précisément ce qui a été comparé dans IDEAL. L’étude a inclus des patients avec débit de filtration glomérulaire estimé par la formule de Cockcroft entre 15 et 10 ml/min. Il s’agissait donc de patients pris en charge assez tôt par leur médecin. Ces patients ont été tirés au sort. La mise en dialyse devait être faite dans le groupe « précoce » pour un Cockcroft entre 14 et 10 ml/min, et dans le groupe « tardif » pour un Cockcroft entre 7 et 5 ml/min. Point important, le protocole autorisait également à débuter la dialyse en cas de signes cliniques d’IRCT.
Le taux de filtration glomérulaire ne suffit pas pour indiquer la dialyse.
Les résultats montrent que les patients ont été mis en dialyse avec une valeur moyenne de Cockcroft de 12 ml/min dans le groupe « précoce » et de 9,8 ml/min dans le groupe « tardif ». Que s’est-il passé dans le groupe « tardif » ? Pourquoi le protocole n’a-t-il pas été respecté ? Les auteurs de l’article expliquent que sur les 386 patients du groupe « tardif » 299, soit 77 %, ont été mis en dialyse avant d’atteindre un Cockcroft inférieur à 7 ml/min en raison de l’apparition de symptômes cliniques d’IRCT.
Ainsi, l’étude IDEAL souligne que les chiffres de débit de filtration glomérulaire ne suffisent pas pour décider la mise en dialyse. Les signes cliniques sont déterminants. En réalité, cette étude a comparé une mise en dialyse précoce, en l’absence de signes cliniques et une mise en dialyse tardive, en présence de symptômes. Il n’y a pas de différence de survie entre ces deux types de prises en charge. Comme l’ont dit certains commentateurs, la dialyse préemptive ne fait pas mieux que la dialyse « wait and see ».
Ces résultats remettent-ils en cause les recommandations ? En 1996, Les experts français de l’Agence Nationale pour le Développement de l’Évaluation Médicale (ANDEM) écrivaient « Chez l’adulte, le traitement par dialyse doit être débuté lorsqu’apparaissent les premières manifestations cliniques du syndrome d’IRCT, soit, habituellement, lorsque la clairance de la créatinine devient inférieure à 10 ml/min. Il s’agit de manifestations telles qu’anorexie, nausées, troubles du sommeil et de la vigilance, jambes sans repos, prurit, tendance hémorragique, rétention hydrosodée, hypertension artérielle non contrôlable par un traitement médicamenteux, altération de l’état général, perte de poids, et diminution de la masse musculaire. Dans tous les cas où la clairance de la créatinine atteint 5 ml/min, le traitement doit être débuté. »
Une prise en charge précoce pour mieux suivre les patients.
Comme on le voit, ces recommandations faisaient une part prépondérante à la clinique. Aujourd’hui, les résultats de l’étude IDEAL nous disent la même chose.
Les résultats d’IDEAL s’appliquent-ils à l’ensemble des patients avec IRCT ? La réponse est non. Les patients inclus dans cette étude ont tous été pris en charge de façon précoce pour leur IRCT. Or nous savons que 30 % des patients en IRCT le sont tardivement et que le pourcentage atteint même 60 % pour les patients de plus de 75 ans. Le message d’IDEAL n’en est pas pour autant moins fort. La prise en charge précoce des patients avec IRCT permet de les suivre soigneusement sur le plan clinique pour détecter le moment où le traitement de suppléance doit être débuté. IDEAL incite fortement à informer ces patients sur les symptômes de l’IRCT qui, lorsqu’ils vont apparaître, justifieront de débuter la dialyse. Une décision de traitement basée sur les symptômes devrait finalement améliorer la compréhension et l’adhésion des patients à la dialyse.
*Université Aix-Marseille, Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, hôpital de la Conception, Marseille.
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