Dans un contexte de fragilisation de la science, en partie du fait des politiques de désinformation aux États-Unis et des restrictions de financement dans le monde, la France et l’Europe se mobilisent pour la recherche médicale. Mais quels leviers actionner pour résoudre les difficultés ? Des professionnels de la recherche médicale se sont exprimés sur ce sujet lors d’un débat pour l’émission Les contrepoints de la santé, diffusée le 3 juillet sur YouTube.
« Alors que la majorité des recrutés à l’Inserm ont eu des expériences professionnelles aux États-Unis, la situation met en péril la formation postdoctorale des jeunes chercheurs européens », alerte Bruno Clément, directeur de l’unité Inserm « Foie, métabolismes et cancer » à Rennes et membre de l’Académie nationale de médecine. Et d’appeler l’Europe à « se réveiller pour saisir cette opportunité ». Pour le Pr Marc Humbert, pneumologue à l’hôpital Bicêtre (AP-HP), doyen à l’université Paris-Saclay et vice-président de la conférence des doyens de médecine, « nous vivons un moment clé qui comporte des risques mais aussi des opportunités, et nous, chercheurs, devons nous y adapter ».
Attirer les chercheurs en santé : des packages insuffisants
Les intervenants soulèvent d’autres points d’alerte sur la recherche médicale en France : désorganisation, éparpillement des interlocuteurs, financements et salaires insuffisants, environnement de travail peu propice à la créativité… Tous ces facteurs contribuent à une baisse de l’attractivité du pays tant pour les chercheurs français qu’internationaux.
« Pour rapatrier les chercheurs des États-Unis, nous devons proposer des choses encourageantes et stimulantes. Or, les packages proposés par le gouvernement français sont largement insuffisants pour recruter une pointure et son équipe, faire fonctionner un laboratoire de plusieurs dizaines de personnes, déplore le Pr Guillaume Canaud, unité de Médecine translationnelle et thérapies ciblées, hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP). On parle de plusieurs millions d’euros nécessaires par an, pas 100 000. »
Quant à l’empilement de gouvernances qui freine la recherche médicale, des mesures ont été prises, sans pour autant atteindre l’effet escompté. « En 2008, l’idée de faire de l’interministériel répondait à la question de l’interdisciplinarité. Mais au lieu de simplifier, cela a ajouté une couche administrative », déplore le Pr Clément.
Le Pr Humbert cite l’existence de nombreux rapports autour de la recherche en santé qui « contiennent des choses pleines de bon sens, mais ce ne sont que des indications ». Comment ensuite les implémenter et mettre en œuvre ? « Cela demande des moyens financiers mais surtout de prendre des décisions courageuses pour prioriser les dépenses en santé », défend-il.
Les zones sous-denses, des lieux d’opportunité en recherche
Bruno Clément s’attriste par ailleurs du désengagement des cliniciens en recherche en laboratoire, qui sont débordés par la prise en charge des patients et les tâches administratives. « Une fois que la coupure se crée, on perd le lien au long cours. C’est quelque chose de dangereux : à l’Inserm, on ne peut pas faire de recherche sans médecins. »
Les médecins ne vont pas dans les territoires en tension pour faire de la médecine « low-cost »
Pr Marc Humbert, vice-président de la conférence des doyens de médecine
Le Pr Humbert, qui s’inquiète aussi de ce désengagement, défend une approche proactive pour résoudre les problèmes de territoires, sans se contenter de réponses exclusivement financières : valoriser les praticiens hospitaliers dans la recherche (temps dédié, place de premier auteur dans les articles publiés, etc.) et implanter les laboratoires au cœur des CHU. « Il faut donner du sens au métier, les médecins ne le sont pas par hasard : les fondements du métier sont liés à l’innovation et la recherche, témoigne-t-il. Les territoires sont évidemment une priorité nationale, les médecins ne vont pas dans les zones sous-denses pour exercer une médecine “low-cost”, ils y vont pour une médecine engagée, liée aux universités ou aux agences régionales de santé. Et ce sont des lieux abritant une recherche extraordinaire. »
Le Pr Humbert reste néanmoins optimiste : « Il faut noter que les chercheurs sont dans un mouvement positif de création de connaissance ». Le Pr Canaud voit aussi au quotidien « des profils de médecins chercheurs motivés, qui veulent faire avancer la recherche et améliorer le quotidien des malades ».
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