Interview du Pr Dominique Le Guludec

Évaluation, toute !

Publié le 27/09/2018
Qualité des soins, pertinence des parcours, MSP… : plus aucun acte ne se fera sans évaluation. Le patient devient un acteur important des décisions de la HAS, comme pour faire écho à la loi santé présentée la semaine dernière. Entretien avec le Pr Dominique Le Guludec, présidente du Collège de la HAS.
Dominique Le Guludec

Dominique Le Guludec
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

LE GÉNÉRALISTE : Quel sera le rôle de la HAS dans la création des assistants médicaux et sur les nouvelles délégations de tâches prévues dans le plan santé ?

Pr Dominique Le Guludec : Les compétences des assistants médicaux, leur formation, leurs tâches exactes restent à définir et la HAS devrait être sollicitée lors des discussions à venir. Nous sommes régulièrement interrogés pour vérifier les critères de qualité et de sécurité des soins dans le cadre des coopérations interprofessionnelles, des délégations de tâches et des transferts de compétences. Un autre exemple, la HAS vient de proposer d’élargir la compétence des pharmaciens, des sages-femmes et des infirmiers en matière de vaccination antigrippale. Les évolutions à venir seront d’abord définies avec les professionnels de santé euxmêmes, et si besoin nous donnerons notre avis sur la pertinence et la faisabilité de ces changements.

La loi santé prévoit de donner un rôle plus actif aux patients, jusqu’à évaluer des médecins. Qu’en pensez-vous ?

Pr D. LG. : Donner plus de place aux patients est une avancée majeure. Culturellement, notre pays ne fait pas partie de ceux les plus en pointe sur leur implication. Nous avons déjà des patients experts au sein de tous nos groupes de travail et l’implication des usagers est une de nos priorités. À l’hôpital, cette évolution est déjà engagée. Notre indicateur e-Satis évalue la satisfaction des patients lors de leur hospitalisation en médecine-chirurgie-obstétrique sur des critères de prise en charge, d’implication dans les décisions et la transmission des informations à leur médecin traitant. La HAS a lancé en mai la même enquête sur la chirurgie ambulatoire. Nous travaillons aujourd’hui sur l’évaluation des soins primaires en maison de santé pluridisciplinaire. La ministre souhaite évaluer les soins ambulatoires par des enquêtes patients. Nous discutons avec les professionnels du mode d’évaluation. Il pourrait s’agir d’un label, par exemple. Même en cabinet de ville, on peut envisager que les patients soient interrogés sur leur satisfaction ou les résultats de leur prise en charge. Mais attention, la HAS n’est pas là pour identifier les praticiens 5 étoiles ! Notre rôle est de garantir un système de santé de qualité, équitable et soutenable pour l’ensemble de nos concitoyens. L’avis des malades est un outil d’amélioration de la qualité, pas un pas vers une hypothétique sanction !

Au contraire, pour nous, il s’agit d’éviter que les avis parfois exprimés aujourd’hui de manière inepte et anarchique sur des sites Internet prolifèrent car ils ne contribuent pas à améliorer la qualité. Les professionnels doivent nous aider à repérer comment les retours des patients peuvent faire évoluer leurs pratiques dans le bon sens. Et de leur côté, les usagers y voient de la transparence.

La loi santé prévoit de mesurer l’efficacité de 10 parcours présentant le plus d’enjeux de santé publique. Quelles pathologies sont concernées ?

Pr D. LG. : La HAS est particulièrement investie dans la détermination d’indicateurs de qualité des parcours de soins. Nous avons fixé avec les professionnels, les patients, la Cnam et le ministère cinq pathologies prioritaires parmi les dix chroniques les plus fréquentes. Le premier sujet est la BPCO, qui nous servira de pilote. Cette pathologie complexe est un bon exemple, dans la mesure où les intervenants sont multiples en ambulatoire, en hospitalier et dans le secteur médico-social, avec des points critiques du parcours bien identifiés. L’élaboration des indicateurs vise à mesurer l’amélioration des pratiques sur ces points critiques. Cette méthodologie sera ensuite répliquée pour les autres parcours suivants : insuffisance coronaire, obésité, Parkinson, IRC, puis diabète et AVC, un type de cancer et une pathologie psychiatrique. Quant aux parcours de soins sur l’insuffisance cardiaque et l’ostéoporose attendus d’ici à la fin de l’année, ils seront le fruit d’un travail conjoint avec la Cnam.

Selon la HAS, en quoi consisterait la recertification des médecins ?

Pr D. LG. : Le Pr Serge Uzan a été missionné pour établir un rapport sur ce sujet. Il y travaille actuellement avec un comité de pilotage dont nous faisons partie. Cette recertification nous paraît particulièrement pertinente, étant donné la vitesse à laquelle la médecine évolue. Il s’agit d’encourager les médecins à s’engager dans le développement professionnel continu (DPC), mais aussi de leur permettre d’afficher et de valoriser qu’ils sont bien à jour dans leurs obligations de formation. D’autres facteurs pourraient aussi être pris en compte, comme le relationnel avec les patients, l’état de santé du praticien ou l’absence de sanctions du Conseil de l’Ordre… Dans ce domaine, il est intéressant de voir combien les mentalités évoluent. En vingt ans, les professionnels ont intégré cette démarche qui fait aujourd’hui consensus.

Plusieurs sociétés savantes ont contesté la recommandation Lyme et son SPPT, certains experts soupçonnant la HAS d’avoir cédé à la pression des associations de patients. Que leur répondez-vous ?

Pr D. LG. : J’assume totalement la recommandation Lyme. Dans tous les cas, il était impossible de mettre tout le monde d’accord : les associations de patients nous critiquent parce qu’on n’en a pas fait assez et les infectiologues nous accusent d’en avoir fait trop. Nous avons cherché à sortir d’une situation très péjorative pour le patient. Certains parcours sont aberrants, avec des malades qui se sont mis une étiquette (ce n’est pas forcément le fait du médecin) et se sont vu proposer des traitements incohérents comme la prescription de trois antibiotiques pendant des années. Nous avons proposé une démarche pragmatique pour régler de façon la plus optimale possible ces demandes de patients qui ont des symptômes divers, liés selon eux à un Lyme, parfois à raison, souvent à tort. Notre plus-value à la HAS est de parvenir à dégager des conduites à tenir, même imparfaites, et ce compte tenu de l’état de la science et de ses insuffisances du moment. Dans les situations faciles, on n’a pas besoin de nous.

La HAS doit procéder d’ici fin février à l’évaluation scientifique de l’homéopathie et se prononcer sur le maintien de son remboursement. Comment allez-vous procéder ?

Pr D. LG. : Nous y travaillons activement et nous adaptons notre méthodologie. Car l’analyse de ce type de médicaments est particulière, avec des indications différentes de celles des produits pharmaceutiques que nous avons l’habitude d’évaluer. Nous devons aussi examiner certains aspects juridiques. Nous avons à analyser les publications – il y en a environ 300 – et les pratiques pour évaluer le service médical rendu de l’homéopathie. L’objectif est de savoir si sur un plan collectif, le système de solidarité nationale doit prendre en charge ces médicaments…

Sur ce sujet sensible, subissez-vous des pressions ?

Pr D. LG. : La HAS travaille dans la plus grande indépendance. Si la France s’est dotée d’une autorité indépendante, c’est pour lui permettre de travailler en toute sérénité, loin des pressions. Nous recevrons et interrogerons les médecins homéopathes, des associations de patients, etc. Comme nous le faisons pour évaluer tout médicament.

Beaucoup de généralistes se plaignent que les recommandations soient davantage conçues pour des spécialistes d’organe que pour eux…

Pr D. LG. : C’était vrai, mais ça ne l’est plus. Nous travaillons énormément avec le Collège de la médecine générale, et leurs experts interviennent dans tous nos groupes de travail. Les généralistes sont bien impliqués dans nos travaux. Et sur la forme, nous poursuivons nos efforts pour produire des documents fonctionnels, de plus en plus visuels, voire des outils numériques pour aider au mieux les professionnels. La future étape serait d’en produire davantage pour les patients…

Quels sont les sujets, les orientations futures ou nouvelles de la HAS ?

Pr D. LG. : Les enjeux actuels sont inédits. Notre mission est d’aider les professionnels à adapter leurs pratiques aux transformations du système de soins, avec par exemple le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Ça recouvre également le champ de l’innovation, avec certes les nouveaux médicaments, mais aussi la télémédecine et l’intelligence artificielle. Par exemple, le médecin généraliste pourra avoir recours à des process d’intelligence artificielle pour rechercher une maladie rare et savoir où orienter le patient. Il va falloir accompagner et évaluer ces nouveaux outils. La e-santé représente pour nous un champ d’action considérable. 

REPÈRES

> Cardiologue et spécialiste en biophysique et médecine nucléaire

> PU-PH, responsable du service de médecine nucléaire de Bichat depuis 1993 et de l’enseignement de biophysique à la faculté de médecine Paris Diderot jusqu’en 2011

> Création d’une équipe de recherche Inserm Cardio-Vascular Imaging (unité 1148) et une plateforme d’imagerie expérimentale (UMS 34 FRIM).

> En 2013, présidence du CA de l’IRSN jusque sa nomination à la HAS fin 2017 en remplacement du Pr Agnès Buzyn.


Propos recueillis par les Drs Linda Sitruk, Bénédicte Gatin et Nicolas Evrard
HAS

Source : lequotidiendumedecin.fr