« Les auteurs du Compendium de médecine définissent la grippe comme “ une maladie essentiellement épidémique, caractérisée par un affaiblissement général remarquable, une céphalalgie gravative, des douleurs contusives dans les membres, de la courbature, des lassitudes spontanées, et accompagnée d’une inflammation de la muqueuse nasale, des bronches et du tube digestif. ”
Tels sont, en effet, les effets que nous observons au cours de l’épidémie actuelle ; tels sont aussi ceux qu’observèrent à Londres Willis en 1658 et, surtout, Ettmuller qui dona à la grippe sinon son appellation, du moins son droit de cité en pathologie.
En l’an 1669, une épidémie de grippe désola la Hollande et l’Allemagne. Nouvelle épidémie, mais assez bénigne en 1675. Il ne mourut personne en Allemagne, mais la contagion gagna la France où l’on eut à déplorer quelques décès chez les femmes enceintes. L’Allemagne et l’Autriche sont à nouveau infectées en 1679 (pays rhénan), en 1691 (Hongrie), en 1709 (Berlin), 1712 (Tubingen). En 1729 et 1732, la maladie, venue d’Allemagne, s’étend en France, en Angleterre, en Italie. Nouvelle recrudescence en Saxe (1737-1742) : les enfants surtout sont atteints. Bref, pendant tout le XVIIIe siècle, l’Allemagne est sujette à des épidémies de grippe, beaucoup plus que la France, l’Angleterre ou l’Italie qui ne sont infectées que secondairement.
Les guerres de la Révolution et du Consulat nous rapportent aussi la grippe d’Allemagne. En 1800, c’est Lyon qui est atteint et c’est la forme nerveuse qui prédomine. Cette même ville fut éprouvée bien davantage en 1831 par la grippe à forme abdominale et, en 1837, par la pneumonie grippale, bien décrite par le médecin lyonnais Gubian.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’école anatomo-physiologique triomphe en Allemagne comme en France. On ne parle plus de grippe, mais bien de gastro-entérite, d’encéphalite, de pleuro-pneumonie. D’autre part, sous la domination prussienne, un pouvoir autoritaire cache les épidémies, muselle une presse trop indiscrète et, il faut bien le dire, recourt à des méthodes prophylactiques qu’il serait difficile d’obtenir chez nous.
Il n’en est pas moins vrai que, durant notre séjour en Allemagne, en 1905, il nous a été donné d’observer des cas de grippe assez semblables à ceux que nous avons actuellement sous les yeux. Aussi dirons-nous que l’histoire comme l’observation clinique nous permettent de supposer que la grippe nous vient d’Allemagne. Cette supposition est, du reste, rendue vraisemblable par d’autres faits.
L’apparition de l’épidémie actuelle n’a-t-elle pas été, en quelque sorte, la rançon du brillant succès de nos armées ?
On parle beaucoup plus de grippe parmi nos soldats depuis qu’ils avancent et occupent par conséquent d’anciennes tranchées ennemies. De plus, l’apparition de la maladie dans la population civile a coïncidé, d’une part, avec l’afflux des prisonniers allemands et, d’autre part, avec la mise de ces derniers à la disposition des agriculteurs ou entrepreneurs. Il faut tenir compte aussi, comme facteur de contagion, des rapatriés valides sans doute, mais vraisemblablement porteurs de germes. Notons, enfin, que les pays en relation directe avec l’Allemagne, comme la Suisse et la Suède, ont été beaucoup plus gravement contaminés que des pays en contact avec la France, l’Espagne par exemple ; encore les villes les plus éprouvées, Barcelone entre autres, étaient-elles en grande partie peuplées d’Allemands.
Il est possible que les Allemands soient quelque peu mithridatisés contre la grippe. Toutefois, la disette et les privations commencent, chez eux aussi, à rendre la maladie plus sévère. Il est, en tout cas, rationnel de supposer que le fléau vient d’eux principalement. Quant aux Espagnols et aux Chinois, nous ne les croyons guère coupables de nous avoir contaminés. Nous avons eu, comme médecin traitant d’un hôpital d’exotiques et de coloniaux, à soigner des uns et des autres. Chez eux, le nombre de malades a été peu considérable et les premiers cas de grippe observés l’ont été bien après l’apparition de l’épidémie dans la population lyonnaise.
Grippe chinoise ? Nous ne le croyons pas. Grippe espagnole ? C’est bien peu probable. Grippe allemande ? À nos confrères de juger ce que valent nos arguments. »
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