Tabac, alcool, dépression, obésité, trouble du sommeil, hypertension, diabète… De nombreux facteurs de risques cardiovasculaires sont connus mais ils ont tendance à être évalués séparément sans s’attacher aux probables interactions qu’ils entretiennent entre eux. Or, ne pas prendre en compte ces associations peut s’avérer contre productifs en particulier en ce qui concerne les stratégies de prévention. Une nouvelle étude publiée dans Plos One donne une idée des relations entre les différents facteurs. Via la cohorte GAZEL qui incluait près de 11 000 patients âgés entre 39 et 54 ans, les scientifiques ont pu mettre en évidence dans quelle mesure la survenue de chaque facteur de risque était influencée par la présence d’autres de ces facteurs.
Entretien avec le biologiste et chercheur à l'Inserm Pierre Meneton qui a dirigé les travaux.
Legeneraliste.fr : Pouvez-vous expliquer votre étude en quelques mots ?
Pierre.Meneton. : Dans la pratique, énormément de professionnels de santé ont une approche facteur par facteur des risques cardiovasculaires. Par ailleurs, les recommandations préconisent de les prendre en compte dans leur ensemble lorsqu’il s’agit d’évaluer le risque cardiovasculaire global comme dans l’équation de Framingham. C’est-à-dire que si un patient combine deux facteurs de risques, son risque global est beaucoup plus faible qu’une personne qui en combine 5 ou 6.
Cette étude permet d’aller plus loin. Il ne s’agit pas uniquement de prendre en considération l’ensemble des facteurs de risques mais aussi les interactions qui existent entre eux. En effet, un facteur est prédit par d’autres facteurs ou en prédit d’autres. Le but n’est pas de seulement les énumérer mais de voir quels facteurs présents chez ce patient vont agir de manière synergique ou lesquels sont susceptibles de provoquer la survenue d’autres facteurs. Ces travaux ont des applications conceptuelles mais aussi pratiques. Par exemple, chez un patient hypertendu et obèse, si on traite son hypertension sans chercher à réduire son poids alors la stratégie reste bancale.
L’étude a analysé les associations entre 12 facteurs connus : 3 facteurs non modifiables (âge, sexe, antécédents familiaux), 3 facteurs liés au mode de vie (alcool, tabac, activité physique) et 6 facteurs cliniques (obésité, troubles du sommeil, dépression, hypertension, dyslipidémie et diabète).
Quel est le but de ces recherches à terme ?
P.M. : À l’heure actuelle, la prévention ne fonctionne pas quel que soit le contexte. Les raisons sont multiples. Il y a les problèmes liés au mode de vie et d’autres au suivi des traitements. Mais certains obstacles sont dus au fait que les interactions entre les facteurs ne sont pas évaluées. Par exemple, un obèse, dépressif et fumeur n’est pas un cas facile à traiter. Quel facteur regarder en priorité ? Sur quelle ficelle tirer ? Dans quelle mesure un facteur va empêcher de réduire les autres ? Le médecin ne connaît pas la relation entre ces 3 facteurs et doit aussi prendre en considération l’âge et le sexe de l’individu. L’idée est de prendre en compte chaque facteur de risque pour empêcher la survenue des autres qui y sont associés. Et, si ceux-ci sont déjà présents, pouvoir les réduire en sachant quoi combattre en premier.
Quelles sont les principales conclusions de ces travaux ?
P.M. : Dans l’étude, on a trouvé 47 associations prédictives entre ces 12 facteurs. Les prises en compte des interactions fonctionnelles des facteurs de risques sont ignorées, à part dans des cas comme cités tout à l’heure (être obèse et hypertendu). Ici pour le diabète, on a bien retrouvé le lien connu avec l’obésité mais aussi avec 6 autres facteurs notamment l’hypertension, le tabac, la dépression, l’activité physique, la dyslipidémie, et les antécédents familiaux. De même, 2 facteurs de risques très souvent sous-estimés, la dépression et les troubles du sommeil, sont pourtant en interactions avec d’autres facteurs.
Quels aspects pratiques peuvent être tirés de cette étude ?
P.M. : L’étude intègre de nombreux facteurs et peut permettre une prise de conscience pour mieux évaluer les risques. Mais pour l’instant cela reste dans un cadre conceptuel sans application pratique. Le schéma issu de l’étude qui montre toutes les interactions n’est pas très fonctionnel. Il faudrait réfléchir à quelque chose de plus facile d’accès. Nos graphiques qui montrent les 47 associations sont trop compliqués pour une pratique médicale quotidienne, surtout vu le temps des consultations. Ce qui conviendrait : c’est que le médecin généraliste ait une connaissance préalable pour ne pas prendre trop de temps lorsqu’il est en face du patient. Mais mémoriser 47 interactions n’est pas évident, peut-être qu’un tableau relativement simple et pratique qui permettrait de dégager des stratégies de prévention agissant sur les principaux facteurs s’avérerait efficace.
Quelle est la principale limite de votre étude ?
P.M. : La praticabilité. Sans se voiler la face, c’est difficile de rendre ce concept applicable. Il y a beaucoup d’obstacles. Mais si on y arrive, il serait intéressant de comparer un groupe de médecins qui aurait accès à une méthode simple de mise en pratique du concept par rapport à un groupe contrôle et ainsi de voir si on constate une amélioration de la prévention. Bien sûr ces travaux ne seraient pas simples et surtout longs.
Quelles sont les prochaines étapes pour compléter ces recherches ?
P.M. : À présent, on cherche à compléter notre schéma entre les différentes interactions en introduisant d’autres facteurs de risques comme les conditions de travail, le chômage ou l’alimentation. On a remarqué par exemple que le chômage était un risque majeur même plus important que des conditions de travail dégradées.
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