Les deux lauréats du prix Nobel 2023 étaient attendus. La Hongroise Katalin Karikó et l'Américain Drew Weissman ont reçu le prestigieux prix de l'Institut Karolinska, et les quelque onze millions de couronnes (920 000 euros) qui l'accompagnent, pour leurs travaux ayant abouti à la mise au point du vaccin à ARNm contre le Covid-19.
Plus précisément, ce sont des recherches « qui ont fondamentalement changé notre compréhension de la manière dont l'ARN messager interagit avec notre système immunitaire », selon le comité Nobel.
Ce n'est pas la première fois que la découverte d'un vaccin est récompensée par un prix Nobel. Dès 1901, les travaux sur le sérum de l'Allemand Emil Adolf von Behring avaient été choisis pour la première attribution du tout premier prix de l'histoire. En 1951, c'est l'Américain Max Theiler qui était le lauréat pour ses travaux sur le vaccin contre la fièvre jaune. Bien d'autres récipiendaires ont été choisis pour les avancées dans le domaine de l'immunité.
Le fruit de 40 ans de recherche
La particularité de l'approche défendue par Katalin Karikó et le Dr Drew Weissman a été d'imaginer une vaccination, non pas fondée sur la présentation d'une protéine virale ou du virus entier, mais d'un ARNm codant directement pour les anticorps spécialisés dans la reconnaissance d'une région de la protéine Spike du Sars-CoV-2. Cette stratégie, qui s'est très vite imposée lors de la pandémie, est le fruit d'un long processus depuis les années 1980. Tout commence par la mise au point de nouvelles méthodes pour produire un ARNm voulu sans avoir recours à des cultures cellulaires.
Pour en faire un médicament, il a ensuite fallu stabiliser et vectoriser l'ARNm. « Quand j’étais en Hongrie, à la fin des années 1970, j’utilisais déjà des liposomes pour conserver des acides nucléiques, de l’ADN à l’époque », explique Katalin Karikó dans un entretien accordé au « Quotidien ». Cette technique a donc été mise à contribution dans la mise au point du vaccin anti-Covid, avec une nanoparticule composée de quatre lipides aux fonctions différentes, à savoir protection, entrée dans la cellule et fusion avec l’endosome.
Contrecarrer la réaction inflammatoire
Mais le principal problème à résoudre fut de trouver un moyen de lutter contre la réaction inflammatoire que provoque l'ARNm fabriqué par les chercheurs, un phénomène mis en évidence par l'immunologiste Drew Weissman avec qui Katalin Karikó s'est associée. « Quand mon collègue a découvert que l’homme produisait de grande quantité de TNF et d’autres cytokines inflammatoires lors d’injection d’ARNm, j’ai été choquée : tout que ce que j’étais en train de développer était inutile ! », se souvient-elle.
Ensemble, ils ont compris que les cellules dendritiques étudiées par Drew Weissman reconnaissaient l'ARN produit in vitro comme un corps étranger, d'où la réaction immunitaire. Mais ce n'était pas le cas de l'ARN produit dans les cellules de mammifères, car une modification survient après la transcription de l'ARNm dans les cellules.
Les deux chercheurs sont parvenus à reproduire l'effet de cette modification en s'inspirant d'observations faites sur les ARN de transfert (les ARNt étant nécessaires à la traduction de l’ARNm en protéines). En appliquant les mêmes modifications à l’uridine que celles présentes sur les ARNt, le duo de scientifiques est parvenu à supprimer l’immunogénicité de l’ARNm.
Un signal pour les industriels
« Au niveau le plus fondamental, comprendre cette toxicité des ARNm est quelque chose qui n'était pas connu auparavant, explique Roland Marquet, chercheur du CNRS au laboratoire Architecture et réactivité de l'ARN à Strasbourg. Grâce à leurs publications, les vaccins à ARNm sont devenus une réalité qui dépasse largement le cadre du simple Covid-19 », précise-t-il.
À partir de 2010, plusieurs laboratoires avaient commencé à développer des vaccins ARNm contre le Zika et les coronavirus. Mais c'est véritablement la pandémie de Sars-CoV-2 qui a révélé tout le potentiel de cette nouvelle génération de vaccins.
Pour Roland Marquet, la pandémie a surtout été un signal pour les industriels, plus que pour les chercheurs. « L'essentiel de la recherche était déjà acquis depuis dix ans, mais les industriels étaient assez frileux », se souvient le chercheur. Bien avant Karikó et Weissman, des pionniers tels que les chercheurs Frédéric Martinon et Pierre Meulien (tous deux rattachés à l'Inserm) avaient montré dès 1993 qu'il était possible d'induire une réponse immunitaire contre la grippe à l'aide d'un ARNm introduit grâce à un liposome.
« D'autres chercheurs comme le Dr Andrew Geall avaient aussi fait les premiers tests de vaccins à ARNm contre la grippe aviaire, mais les laboratoires se sont désengagés des recherches. Je pense que le Covid a poussé les industriels à prendre un peu plus de risques, conclut Roland Marquet. Dans ma propre unité, une équipe se consacre désormais à la mise au point de vaccins à ARNm. »
Du Covars à Curie, les médecins français saluent les lauréats
Lors d'une conférence de presse sur le Covid, organisée par l'Inserm et l'ANRS-Maladies infectieuses émergentes ce lundi, la présidente du comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars), la Pr Brigitte Autran a salué « une récompense particulièrement méritée » et « à point nommé », « très rapidement après la démonstration de l'efficacité » de cette méthodologie innovante.
Le Pr Alain Puisieux, directeur du centre de recherche de l’Institut Curie a, quant à lui, félicité les lauréats pour « leurs contributions révolutionnaires en matière de vaccins à ARNm (qui) ont non seulement permis de lutter contre la Covid-19 pendant la crise sanitaire, mais (qui) ont offert également des pistes prometteuses pour le traitement de diverses maladies ». Pour l'oncologue, plus largement, « la vaccination est une source d’innovation et un formidable espoir pour tous les patients », ajoutant qu'elle « fait partie intégrante de l’arsenal de la lutte contre le cancer ».
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