Cancer du foie, du rein, du pancréas… Dans un rapport rendu public hier, l'Institut national du cancer (INCa) et Santé Publique France (SPF) dressent un tableau parfois surprenant des tumeurs ayant enregistré la plus forte progression au cours des trois dernières décennies. Avec globalement, une hausse des cancers chez la femme et une montée en puissance de tumeurs moins fréquentes jusque-là. A l’inverse certains grands classiques tendent à marquer le pas. Des mutations qui pourraient être liées en partie aux évolutions des facteurs de risque.
Mené par l’INCa, le réseau Francim des registres des cancers, les hospices civils de Lyon et Santé publique France, ce travail propose une estimation nationale de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. 74 types de tumeurs ont été étudiés avec, pour la première fois, des analyses en sous-groupes histologiques et par tranche d'âge.
Une incidence en hausse chez la femme
Tous cancers confondus, les auteurs évaluent à 382 000 le nombre de nouveaux cas en 2018 et à 157 400 le nombre de décès par cancer. Soit une hausse brute de 65 % de nouveaux cas chez l’homme et de 93 % chez la femme par rapport à 1990.
Cependant, si l’on tient compte des biais démographiques (accroissement de la population et allongement de l’espérance de vie), « l’incidence tous cancers confondus est stable chez l’homme (+0,1 % par an) alors qu’elle s’accroît chez la femme (+1,1 % par an) reflétant une augmentation réelle du risque de cancer », indiquent les experts.
Globalement, la progression reste donc limitée, mais elle reflète des réalités très différentes selon les localisations et le sexe.
La hausse la plus importante concerne le cancer du poumon avec une augmentation de l’incidence de 5,3 % par an et de la mortalité de 3,5 % par an en population féminine. Cette progression est « liée à l’augmentation du tabagisme féminin », décrypte le rapport.
Des évolutions qui interrogent
Parmi les autres évolutions notables, les auteurs pointent, une montée en puissance du cancer du pancréas avec une augmentation de l’incidence (+2,7 % par an chez l’homme et +3,8 % chez la femme) et de la mortalité chez la femme (+1,2 % par an). Également en hausse : l’incidence du cancer du foie (+1,6 % par an chez l’homme et +3,5 % chez la femme) ; et celle du cancer du rein (+1,4 % par an chez la femme et +1,7 % chez l’homme) avec une tendance récente à l’augmentation de la mortalité.
Là encore, les consommations excessives de tabac et d’alcool entrent très certainement en ligne de compte. Mais d’autres facteurs de risque pourraient intervenir comme les modifications des comportements alimentaires et la prévalence croissante de l’obésité. Pour le cancer du rein, les auteurs incriminent même, « l’absence d’amélioration du contrôle de l’HTA ». Par ailleurs, « de nombreux facteurs de risque ne sont pas encore identifiés », reconnaissent les experts.
Le fort recul des cancers liés essentiellement à l’alcool et au tabac (diminution de l’incidence des tumeurs lèvre-bouche-pharynx de -2,6 % par an chez l’homme et -1,8 % chez la femme et diminution des cancers de l’œsophage (-2,7 % chez l’homme), semble d’ailleurs plaider de façon indirecte dans ce sens.
Des politiques de prévention payantes ?
Autre bonne nouvelle : pour le cancer du col de l’utérus, les données mettent en évidence une baisse de la mortalité (-2,1 % par an) et de l’incidence (-1,8 % par an) « largement attribuée à la mise en place du dépistage ». L’analyse des tendances par âge relève cependant un ralentissement de la baisse de l’incidence à partir des années 2000 chez les femmes de 50 et 60 ans, avec une légère augmentation en fin de période. « Cette évolution pourrait être liée à une modification des comportements à risque chez les femmes nées après 1950, qui contribuerait à une augmentation de la prévalence de l’infection persistante par le HPV chez ces femmes ». Cette augmentation du risque d’exposition au HPV pourrait par ailleurs expliquer l’augmentation de l’incidence d’un cancer rare, le cancer de l’anus, dont les tendances par âge montrent également une augmentation principalement chez les femmes de 50 et 60 ans.
À noter également, une évolution plutôt favorable pour le cancer colorectal avec un recul conjoint de la mortalité (-1,6 % par an) et de l’incidence (-0,6 % par an) chez les hommes et de la mortalité seule (-1,6 % par an) chez les femmes. Là encore « la mise en place du dépistage organisé avec la résection de lésions précancéreuses et la détection de cancers à un stade précoce pourraient expliquer en partie cette diminution et celle de la mortalité », estiment les auteurs du rapport. Même si, comme le souligne Philippe Jean Bousquet, directeur des sciences des données et de l’observation à l’Inca, « la participation à ce dépistage reste basse pour le moment ».
Pour le cancer de la prostate, les indicateurs sont aussi au vert, avec depuis 2010, une diminution récente de l’incidence (-3,5 % par an) « en lien avec les modifications de pratique du dépistage individuel par le dosage du PSA » et une baisse constante de la mortalité entre 1990 et 2018 (‐2,8 % par an)
Progrès thérapeutiques
Le cancer du sein enregistre également un mieux avec une baisse de la mortalité de -1,3 % par an depuis 1990, « liée à des avancées thérapeutiques majeures et à des diagnostics réalisés à un stade plus précoce ». En revanche, après une stabilisation entre 2003 et 2010, l’incidence augmente depuis 2010 (+0,6 % par an). « Parmi les facteurs de risque connus, certains facteurs hormonaux et reproductifs ainsi que la prévalence de l’obésité ont évolué de façon défavorable au fil des générations », explique le rapport. D’autres facteurs suspectés, comme le travail de nuit, les perturbateurs endocriniens ou certaines expositions professionnelles, pourraient aussi expliquer cette évolution. Enfin, l’alcool serait responsable de 15 % des cancers du sein en 2015, « ce qui devrait inciter, comme pour le tabagisme, à lutter davantage contre la consommation d’alcool chez la femme ».
Des données "encourageantes"
Au total, « ces données sont plutôt encourageantes, juge Philippe Jean Bousquet, puisque globalement on voit que chez l'homme l'incidence tend à stagner et que chez la femme on a certes une augmentation mais celle-ci est moins importante dans les périodes récentes. De plus, la mortalité diminue dans les deux cas. Enfin, on a des arguments qui étayent un certain nombre de politiques mises en place, comme pour le cancer du col de l'utérus ».
Pour autant, il reste « des points d'alerte et de vigilance notamment le tabac chez la femme ».
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