Un médecin, une vie
EN FRANCHISSANT le seuil d’un hôpital, Élisabeth Fery-Lemonnier longe les couloirs, histoire de prendre le pouls. L’odeur, les pas, les bruits, les équipes qui se succèdent, rien ne lui échappe. Elle garde une saveur particulière de ses 30 ans d’hôpital, dont 12 années de radiologie exercée à Cochin, Saint-Vincent-de-Paul et Lariboisière, à Paris. Une époque où les AVC passaient au scanner en fin de programme. « Aujourd’hui on en sait beaucoup plus et le simple fait d’avoir les bons gestes, de ne pas faire baisser la tension réduisent les possibilités de handicap. Cela vaut la peine de se mobiliser et la prévention peut être efficace. » Le Pr Marie-Germaine Bousser, qui connaît « le sens de l’organisation et l’objectivité » qui la caractérisent, estime que « le plan qui en 4 ans doit faire connaître et reconnaître l’urgence que représente un AVC, est entre de bonnes mains ».
Pour les ARS.
Une mission qui lui donne « l’impression de rentrer à l’écurie ». Son DEA de statistiques et des cycles de formation à l’ESSEC et l’ENA l’ont pourtant fait changer de cheval de bataille et lui offrent aujourd’hui la possibilité de former d’exceptionnels duos avec ses collègues conseillers administratifs. Quand le directeur d’hôpital qui l’accompagne dans ses missions fait une analyse financière, mesure le niveau d’investissement et le taux d’endettement d’un hôpital, Élisabeth Ferry-Lemonnier scrute le projet médical, l’organisation des différentes activités. Rien de tel pour savoir si l’établissement est en bonne santé. En arrivant, elle prend la température et demande à une secrétaire d’appeler toutes les consultations pour savoir à quelle heure est le prochain rendez-vous, en urgence ou non. Un délai qui permet à lui seul de confronter l’offre à la demande en matière de soin.
Ni inspecteur, ni consultante, la conseillère générale intervient pour le ministère à la demande des directeurs d’agence régionale de santé, auxquels elle rend des préconisations. Habituée à scruter les déséquilibres, son expérience lui a montré « qu’un déficit n’est qu’un symptôme, la maladie est souvent ailleurs ». Pour comprendre coûte que coûte, elle est capable de tout mettre à plat pour désosser le pilotage des plannings des consultations et celui du bloc opératoire, qui devient « un marqueur pour dénicher les luttes internes sources d’hémorragie budgétaire ». Elle refuse l’idée que la pérennité d’un établissement vacille à cause d’un simple conflit de personne, parfois cruel, entre un président de CME et un directeur par exemple.
« Celui qui réalise le tableau de bord doit pouvoir s’entendre avec celui qui fabrique le moteur », résume Jean-Patrick Lajonchère, directeur général de l’hôpital Saint-Joseph, à Paris. Il garde un souvenir ému du tandem qu’ils formaient à l’AP-HP il y a quelques années et salue sa ténacité et sa conviction qui la conduit « à négocier pied à pied » sans jamais rien lâcher. Une rigueur et une implication hors normes, décelées dès 1997 au sein du comité d’évaluation et de diffusion des innovations technologiques au siège de l’AP-HP, dont il lui confiera la responsabilité du secrétariat scientifique.
En arrivant d’abord à mi-temps, Élisabeth Fery-Lemonnier se distingue rapidement travaillant aux côtés de Catherine Viens-Bitker sur les projets de développement de télémédecine pour la grande garde de neurochirurgie. En quelques années, étudiant les meilleurs investissements possibles, elle parvient à faire bouger les lignes de la politique médicale de cette vaste maison. « Cette fonction était inventive, on était portée par des médecins qui avaient des idées et venaient vous mettre sous le nez ce qu’il ne fallait surtout pas louper. » Vidéo-capsule, stimulation intracérébrale, implant cochléaire : elle met en place un guichet pour discuter que ces innovations étonnantes et visionnaires. À l’époque, elle parvient à convaincre Antoine Durrlemann, alors directeur général de l’AP-HP, de créer un fonds spécial pour financer le progrès médical. En 2004, cette enveloppe atteint 20 millions d’euros, à répartir dans tous les hôpitaux pour financer les innovations.
Chez Bachelot.
Dès lors, Élisabeth Fery-Lemonnier va se faire une spécialité des missions délicates. Conseiller médical auprès de la Fédération hospitalière de France jusqu’en 2007, Yann Bubien remarque immédiatement sa vision du système de santé. Aujourd’hui directeur adjoint du cabinet de Roselyne Bachelot, il affirme avoir employé tous les moyens pour la retenir auprès de la ministre, dont elle a été conseiller médical spécial de janvier à septembre 2008. « On formait un couple chic et choc », se souvient-il, nostalgique, convaincu qu’elle les a sortis d’affaires au moment de la mise en place du compte épargne-temps.
En évoquant ces rapides souvenirs, les yeux d’Élisabeth Fery-Lemonnier scintillent. Des raisons strictement personnelles ne lui ont pas permis de continuer à donner son temps sans compter et elle conserve une admiration sans limite pour cette ministre « combattante féminine, qui défend et porte les valeurs sans casser son image de femme, reste simple et protège quoi qu’il advienne ses équipes ». Elle lui reconnaît notamment la capacité à ne pas larguer son propre stress sur les autres. Un enseignement auquel elle repense souvent. « Parmi les clignotants qui signalent un malaise dans un établissement, j’attache beaucoup d’importance au taux d’absentéisme et vais voir ce qui se passe sur place. La gestion des ressources humaines mérite qu’on s’y arrête, car le nombre de CDD, le turn-over et les plages intérimaires qui explosent sont parfaitement symptomatiques. »
Attentive, son besoin vital de se rapprocher des gens l’amène à créer des personnages en sculptant de multiples visages. Son amie Patricia Lecomte, journaliste à RFI, partage cette activité avec elle. Dans le modelage de la terre, comme dans les activités sportives, Élizabeth ne fait rien à moitié et son incroyable endurance lui a déjà permis de sauter de multiples obstacles. Infirmière et aide-soignante à Saint-Michel /Saint-Antoine/Saint-Joseph pendant ses études, c’est son goût pour les matières scientifiques qui lui a permis de trouver sa voie.
En alerte.
Ses années SAMU de nuit à Lariboisière l’ont définitivement détachée de toute appréhension de situations de stress ou d’urgence. Piquer et intuber n’ont pas de secret pour elle. En coupant le cordon ombilical sur une femme qui était en train d’accoucher dans des conditions catastrophiques dans le nord de Paris, elle se coupe et attrape une hépatite virale qui a bien failli lui faire rater son internat. « La semaine précédente, j’avais demandé à la médecine du travail de me vacciner. À l’époque le vaccin coûtait 800 F et était réservé aux infirmières, les étudiants en médecine, même sur le terrain, n’y avaient pas droit. » Cette situation étonnante ne remonte pas à la nuit des temps. C’était en 1982. Un épisode qui l’a définitivement immunisée contre les approches strictement comptables dénuées de tout raisonnement de santé publique.
Se poser les bonnes questions, réfléchir sur la façon d’améliorer les choses…, Élisabeth Fery-Lemonnier reste en alerte. Elle relit actuellement « le Conflit » d’Élisabeth Badinter et s’interroge sur la délicate conciliation des rôles de mère et de femme, qui, parmi les relations humaines, lui semblent de loin ce qui peut être le plus compliqué. En pensant à sa grande fille Sarah, l’un de ses trois enfants, elle imagine que cela ne sera pas plus simple pour elle et elle en reste contrariée. « L’acquis de nos grands-mères avec le droit de vote, celui de nos mères avec l’avortement sont des pas importants. Quel progrès vers la liberté laissera notre génération ? »
* Jean-Pierre Fourcade, ancien ministre, sénateur UMP des Hauts-de-Seine, préside le Comité d’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé de la loi HPST, mis en place en février dernier. Ce comité doit formuler des recommandations à destination du ministère de la Santé et transmettre un rapport au Parlement à l’été 2011.
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