C’est devenu presque une habitude. À chaque fois que la France se met à parler d’euthanasie, la Belgique écoute, puis s’étonne. La proposition de loi pour une « fin de vie libre et choisie », présentée le 8 avril à l’Assemblée nationale, n’y a pas fait exception. Dès le lendemain, la presse du Royaume, entre curiosité et incrédulité, tentait ainsi de comprendre ce grand voisin qui s’emballe sur un sujet qui, ici, n’en est plus vraiment un.
Il faut dire que la Belgique est pionnière : sa loi dépénalisant l’euthanasie, adoptée en mai 2002, aura vingt ans l’année prochaine. Deux décennies qui ont ancré l’euthanasie dans le paysage de la fin de vie. Au point de permettre, dès 2014, son extension aux patients mineurs. Avant la Belgique, un seul pays au monde avait franchi ce pas : les Pays-Bas, en 2002.
« En 2014, la demande ne venait pas de nulle part, elle émanait des acteurs de terrain : pédiatres et oncologues confrontés à des demandes de jeunes patients », se souvient l’avocate Jacqueline Herremans, membre du comité consultatif de bioéthique de Belgique et présidente de l'A.D.M.D. Belgique (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité).
« Il y a eu beaucoup de débats publics, y compris chez les pédiatres, ajoute Christine Fonteyne, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs pédiatriques à l'Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Bruxelles). Certains étaient d’ailleurs contre, arguant qu’il n’y avait pas suffisamment de situations cliniques pour légiférer ». L’Académie royale belge de médecine s’était, elle, positionnée pour. Au terme de discussions nourries, la loi avait été adoptée à une large majorité (86 pour, 44 contre et 12 abstentions).
Sept ans plus tard, la loi ne fait plus débat. D’abord, sans doute, parce que les cas sont très rares. Depuis 2014, seuls quatre mineurs ont demandé et obtenu l’euthanasie, selon les données de la Commission fédérale de Contrôle et d'Evaluation de l'Euthanasie (CFCEE). Âgés de 9 à 17 ans, ils souffraient « d’affections incurables et particulièrement graves allant entraîner leur décès à brève échéance » : dystrophie musculaire de Duchenne grave, glioblastome ou mucoviscidose.
Ensuite, parce que le texte s’est révélé suffisamment strict pour éviter tout écart. Le patient mineur doit se trouver « dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui entraîne le décès à brève échéance » ; il doit être « doté de la capacité de discernement » (validée par un professionnel) ; sa demande doit être formulée « de manière volontaire, réfléchie et répétée », et ne doit pas « résulter d’une pression extérieure ». Enfin, plusieurs avis de médecins sont obligatoires, et les représentants légaux doivent donner leur accord.
Critères stricts, mais pas de limite d'âge
Incurabilité, souffrance inapaisable et décès à brève échéance… « Je trouve qu’une des réussites de la loi est justement d’être très restrictive, juge la responsable d’équipe de soins palliatifs pédiatriques Christine Fonteyne. Cela permet une réelle prudence face à des patients en plein développement ».
Contrairement aux Pays-Bas, la Belgique n’a pas intégré à sa loi de limite d’âge, pour éviter toute discrimination. « L’enfant en soins palliatifs, parce qu’il est confronté intimement à la souffrance et à la mort, développe une maturité qui n’est pas forcément corrélée à son âge », explique Christine Fonteyne, qui note cependant qu’implicitement, une demande émanant d’un très jeune patient aura peu de chance d’aboutir : « Un enfant très jeune aura du mal à saisir le caractère définitif de la mort, car c’est une notion qu’on acquiert vers les 5 ou 6 ans. »
Reste un écueil, souligne Christine Fonteyne : « Cette loi est utile mais demeure mal connue et donc caricaturée ». Et notamment… par les Français. En Belgique, on s’exaspère d’ailleurs des intox proférées parfois à l’encontre du modèle belge.
Comme lorsque la ministre Agnès Buzyn assène, en 2018, que « n’importe qui en Belgique, s’il le demande trois fois, peut accéder à l’euthanasie même s’il n’est pas malade ou s’il n’a pas de pathologie incurable… Une contre-vérité puisque la loi belge exige de « se trouver dans une situation médicale sans issue » et « faire état de souffrance physique et/ou psychique constante, insupportable et inapaisable ».
Ou quand, le 5 avril dernier, l’archevêque de Paris, Michel Aupetit, dit sur France inter « que des parents emmènent leurs enfants autistes se faire euthanasier [en Belgique].» Une situation impossible car elle ne remplit aucune des conditions de la loi belge. Et le Dr Fonteyne d’insister, une dernière fois : « Dites-le bien à vos lecteurs français… : en Belgique, c’est le patient qui demande et qui décide, personne d’autre ».
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