Assistance au suicide et/ou euthanasie, moyens alloués aux soins palliatifs, rôle des soignants dans l’aide active à mourir, mission des associations et place des proches : les débats récents autour de la fin de vie ont mis en évidence la complexité du sujet, la diversité des évolutions possibles du cadre légal actuel mais aussi la nécessité de renforcer les soins palliatifs en France.
Ces débats ont fait suite à l'avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), rendu en septembre dernier, ouvrant la voie à l'assistance au suicide, sous certaines conditions. « Il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il est inacceptable de transiger », estimait ce rapport.
La réflexion collective est ensuite passée entre les mains d’une Convention citoyenne et les espaces de réflexion éthique régionaux (Erer). La première a réuni pendant plusieurs mois 184 Français tirés au sort pour répondre à deux questions : le cadre actuel de la fin de vie est-il adapté à toutes les situations ? Et faut-il l'améliorer ? Ses conclusions ont été remises le 2 avril. Les seconds ont organisé 245 débats dans 122 villes, rassemblant près de 40 000 citoyens, entre mai 2022 et avril 2023.
Ces débats ont débouché sur de nombreuses convergences, à commencer par les nécessités de mieux faire connaître les dispositions de la loi Claeys-Leonetti de 2016, d’améliorer le cadre actuel en y allouant les moyens nécessaires et de mettre en place des « garde-fous », notamment pour les plus vulnérables.
La Convention citoyenne s’est ainsi majoritairement prononcée en faveur de l'ouverture à l'euthanasie et au suicide assisté avec « de nombreuses nuances » (favorables à 76 % contre 23 % de participants défavorables). Trois raisons justifient cette position : respecter le choix de chacun, combler les insuffisances du cadre d’accompagnement actuel et mettre fin aux situations ambiguës constatées.
Des garde-fous nécessaires
Plusieurs « garde-fous » sont énoncés : mise en place effective d'un accompagnement médical et psychologique complet, possibilité d'exprimer à tout moment sa volonté et enfin le nécessaire discernement de la personne. Aucune position majoritaire n’est ressortie sur le cas des patients qui ne sont plus en mesure d’énoncer leur choix. De même, le cas des mineurs n’a pas été tranché en raison d’avis « très partagés », est-il relevé. Aussi, la Convention propose la mise en place d’une clause de conscience pour les soignants.
En parallèle, le rapport de la Convention, qui s'inquiète de la « situation alarmante » du système de santé, insiste sur la nécessité d’améliorer le cadre actuel, en particulier celui des soins palliatifs : hausse des moyens des soins palliatifs, y compris les unités à domicile, inclusion d'une formation pour tout étudiant en médecine, communication sur les directives anticipées et garantie d'accès sur tout le territoire, alors que de nombreux départements sont dépourvus d’une unité dédiée.
Malgré cette position majoritaire, la Convention a tenu à détailler la « diversité de ses opinions de manière à nourrir le débat public plutôt que de le clore ». Un « nuancier » résume l’ensemble des positions : de « la seule et entière application du cadre d’accompagnement actuel » jusqu’à « l'accès universel au suicide assisté et à l’euthanasie ». Ces opinions « dressent le champ des possibles de ce que pourrait être le modèle français de l'aide active à mourir », écrivent les participants.
Du côté des Erer, les échanges, « sereins, respectueux des opinions et sensibilités de chacun », selon une synthèse de leur Conférence nationale, ont abouti à plusieurs points de consensus : connaissance insuffisante de la loi de 2016, manque de « culture palliative » en France, défaillance de l’accompagnement des souffrances psychiques et de la prise en charge des pathologies mentales et psychiatriques liées au grand âge, place des proches mal définie, flou sur le rôle des associations ou encore défaut d’attention aux vulnérabilités sociales.
Là encore, il est rappelé qu’une évolution du cadre légal actuel devra s’accompagner de moyens supplémentaires pour les soins palliatifs et d’un encadrement « très strict » des pratiques. « La société française semble aujourd’hui mature et prête pour le déploiement d’un questionnement collectif rigoureux, dans un climat d’écoute et de tolérance », juge la Conférence nationale des Erer.
Le rôle des médecins en question
La balle est désormais dans le camp du gouvernement et des parlementaires. Emmanuel Macron a annoncé, lors de la réception du rapport de la Convention citoyenne, un projet de loi « d’ici à la fin de l’été » dans une démarche « transpartisane ». Les parlementaires auront la charge de mettre en place un « modèle français de la fin de vie », sous conditions : « garantir l'expression de la volonté libre et éclairée », « réitération du choix » ou encore sur « l'incurabilité de souffrances réfractaires, psychiques et physiques, voire l'engagement du pronostic vital ».
Le président a également annoncé des « investissements qui s'imposent » pour nourrir un « plan décennal » sur les soins palliatifs, dénoncés comme insuffisants par la Convention. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), dans un communiqué commun à plusieurs organisations de soignants, a salué cette annonce.
Mais, si elle constate également que la mise en œuvre du cadre actuel « n’est pas satisfaisante, principalement en raison des carences humaines, matérielles et organisationnelles », la société savante réaffirme sa position : « la légalisation d’une forme de mort médicalement administrée reviendrait à subvertir la notion même de soin telle qu’elle est communément admise aujourd’hui ».
Et d’alerter, en s’appuyant sur les « nombreuses difficultés constatées dans les pays étrangers » : une telle évolution du cadre légal « pourrait s’avérer être un signal très négatif donné aux personnes les plus vulnérables de notre société et à leur entourage », pas « suffisamment pris en compte dans les réflexions ».
La Sfap s’interroge aussi sur la place donnée aux soignants dans l’élaboration d’un nouveau texte législatif. Une enquête auprès des lecteurs du « Quotidien » montre l’adhésion de la profession à la loi actuelle. La majorité se prononçait contre une évolution radicale de l'encadrement de la fin de vie et contre la réalisation d’une injection létale par un médecin. En cas d’évolution de la loi vers un droit à une aide médicale à mourir, les médecins répondants souhaitent une clause de conscience spécifique.
Ces positions rejoignent celle de l’Ordre national des médecins, qui a dévoilé, le 1er avril, lors de son Assemblée générale, les résultats de sa consultation sur la fin de vie, menée pendant neuf mois par ses conseils départementaux et régionaux. En préambule, l’Ordre se dit « défavorable à toute possibilité de mettre en place une procédure d'aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d'état de manifester leur volonté ».
Vers une clause de conscience spécifique ?
Sa position est ensuite déclinée selon les modalités potentielles d’une évolution du cadre actuel sur la fin de vie. En cas de légalisation de l'aide active à mourir (euthanasie et/ou suicide assisté), il est « défavorable à la participation d'un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l'administration d'un produit létal ». Si une légalisation du suicide assisté était adoptée, il réclame une « clause de conscience spécifique » qui « pourrait être mise en exergue à tout moment de la procédure », sans pour autant empêcher le médecin faisant valoir cette clause de continuer à suivre son patient.
L’Ordre insiste par ailleurs sur la nécessaire nature collégiale de toute décision et toute responsabilité. Le médecin traitant ou référent « devrait être systématiquement membre » de ce collège s'il n'a pas fait valoir sa clause de conscience, est-il précisé. L’Ordre insiste pour que « la loi (protège) le médecin qui participerait à la procédure d'aide active à mourir ». L’instance estime « impératif » de permettre une « meilleure application de la loi Claeys-Leonetti » et se dit prête à contribuer « au développement des soins palliatifs et d'accompagnement ».
Cette ligne de crête est proche des orientations du ministre de la Santé, François Braun, exprimées dans un entretien au journal « Le Monde » daté du 8 avril. Rappelant que « le débat sur l’aide active à mourir est encore ouvert », il donne des gages aux soignants inquiets d’une évolution de la loi : « Si la société devait avancer dans le sens d’une aide active à mourir, ce ne pourrait être que dans des cas très précis et qui devraient être rigoureusement encadrés », a-t-il déclaré, se disant « très mal à l’aise » avec l’idée qu’une telle aide « puisse s’imposer comme une obligation aux médecins ».
La priorité, selon lui, doit « être donnée au renforcement de l’existant ». Il compte sur le débat parlementaire pour répondre à la demande d'une clause de conscience. « Je veux dire aux soignants qu’ils ont la liberté de ne pas faire ces gestes. Qu’ils peuvent être fiers de cette liberté éthique, c’est le message que je veux leur adresser », conclut-il.
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