En peu d’années, dans un contexte géopolitique mondial marqué par les migrations et les guerres, le phénomène criminel de la traite des êtres humains est réapparu sur la scène internationale, prenant au dépourvu l’ensemble des organisations, publiques et privées, nationales et internationales. Avec l’abolition de l’esclavage au xixe siècle et la prohibition de toute atteinte à la dignité de la personne humaine décrétée par la convention pour la Répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, adoptée par l’assemblée générale de l’ONU le 2 décembre 1949, cette sombre page, pensait-on, était définitivement tournée. Et pourtant. La mondialisation et l’avènement du cybermonde ont conduit à la résurgence et au renouvellement de cette forme extrême d’exploitation.
Ce phénomène mondial, qui ferait, selon l’office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), près de 2 millions et demi de nouvelles victimes chaque année, recouvre une série de comportements universellement réprimés par les codes pénaux des États : l’exploitation sexuelle très majoritairement, le travail forcé, la criminalité forcée et le trafic d’organes.
Deuxième ressource criminelle
La caractéristique commune à ces crimes est le cumul de trois facteurs : la violence, physique, économique ou culturelle ; la vulnérabilité, qui facilite l’exploitation, et la vénalité. La recherche du profit est le moteur du développement d’une traite essentiellement aux mains de la criminalité organisée. Les profits qu’elle génère ont placé cette infraction pénale au deuxième rang des ressources de revenus criminels dans le monde, derrière les trafics de stupéfiants, l’ONU estimant son chiffre d’affaires annuel à 32 milliards de dollars.
Désormais, aucun pays n’est à l’abri de ce marché émergent d’autant plus rentable qu’il présente peu de risques pour les trafiquants et repose sur un « produit » aisément renouvelable : les personnes les plus démunies.
Un surcroît d’exploitation est venu récemment s’y ajouter, avec le recours quasi systématique aux nouvelles technologies, qui facilitent le recrutement, l’acheminement, la vente des victimes et le blanchiment des profits. Les réseaux sociaux ont propagé la menace auprès des populations les plus jeunes, qui peinent à faire le partage entre monde réel et virtuel.
En France, les victimes reconnues depuis 2016
En France, la prise de conscience que nous sommes concernés, comme pays aussi bien de destination ou d’origine que de transit, est récente. La multiplication des affaires de traite sur le territoire et l’incitation croissante des organisations internationales et européennes a conduit la France à adopter une législation pénale spécifique dès 2003, et, en avril 2016, une loi a, pour la première fois, consacré juridiquement le statut de victimes de l’exploitation sexuelle et posé les bases d’une aide spécifique les concernant.
Les techniques d’investigation, de poursuite et de condamnation des responsables de la traite sont bien connues. Elles permettent chaque année de démanteler des réseaux organisés (une soixantaine en France en 2017), et n’attendent que des moyens supplémentaires et une coopération internationale plus vigoureuse pour se déployer davantage.
La situation est plus critique pour les victimes, souvent vulnérabilisées avant d’être exploitées. Elles doivent voir leur préjudice mieux évalué et mieux réparé, en prenant en compte les effets physiques et psychiques désastreux de leur condition d’objets à vendre ou à acheter.
Sensibiliser le public et lutter contre la demande
Deux types d’action, toutes deux prévues par la loi de 2016, permettraient de mieux circonscrire, dans notre pays, les progrès alarmants de la traite des êtres humains : la sensibilisation du public à la réalité du crime, et la lutte résolue contre la demande pour décourager les acheteurs. Mais c’est sans doute sur le refus de toute banalisation de la marchandisation du corps humain que les efforts prioritaires devraient porter pour que l’on puisse espérer agir à la source, et décourager cette forme moderne d’esclavage décidément incompatible avec les valeurs fondamentales de nos démocraties.
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