Contraception Essure : après le lancement d'une action judiciaire, le CNGOF appelle à un recueil fiable des données

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Publié le 09/12/2016
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Crédit photo : Essure

Les micro-implants tubaires Essure de contraception définitive font l'objet d'une première action en justice en France contre le fabricant Bayer Healthcare. « Nous venons de lancer deux procédures judiciaires individuelles d'indemnisation au civil », indique au « Quotidien » Me Charles Joseph-Oudin, l'avocat des deux femmes ayant eu la pose d'implants Essure. Une trentaine de dossiers seraient en cours de constitution, a-t-il précisé. 

La première étape – une assignation en référé expertise, précise l'avocat – consiste « à nommer une expertise médicale sous contrôle judiciaire pour déterminer le lien de causalité entre les symptômes rapportés et le dispositif Essure », explique l'avocat. Contrairement à la procédure habituelle, « nous sollicitons que le laboratoire Bayer finance cette expertise, qui représente un coût de 4 000 euros par dossier », souligne Me Joseph-Houdin.

Procédure judiciaire et principe de précaution

Cette méthode contraceptive irréversible, qui consiste à poser des micro-implants dans les trompes sous hystéroscopie en ambulatoire, est sous surveillance renforcée de l'ANSM depuis deux ans. L'alerte a débuté aux États-Unis où plus de 5 000 effets indésirables étaient signalés en 2015 depuis la commercialisation avec des actions en justice en 2014, portées par l'avocate vedette Erin Brockovich. 

En France, l'une des patientes, Marielle Klein, à la tête du collectif Resist (réseau d'Entraide, Soutien, d'Informations sur la Stérilisation tubaire), assistée de Me Joseph-Houdin, va également adresser un courrier au ministère de la Santé et à la DGS afin de leur demander au nom du principe de précaution la suspension de l'utilisation d'Essure, le temps que les résultats d'études lancées par la France soient disponibles (attendus en 2017). Le collectif a lancé une pétition ayant déjà recueilli près de 60 000 signataires. « Il n'y a aucune urgence à poser des implants contraceptifs », fait valoir l'avocat. 

L'ANSM rappelle que la balance bénéfices/risques reste à ce jour favorable. Dès avril 2015, l'agence indiquait dans un point d'information qu'il existe certains risques et complications, « des douleurs abdominales, ou pelviennes et des saignements », « des grossesses », mais aussi des « réactions d'hypersensibilité », qui pourraient être en rapport à une allergie au nickel. Des « rares cas de migration » ont été rapportés avec un risque de perforation des trompes de Fallope ou de l'utérus. 

Des symptômes protéiformes

Si les signalements rapportés avec Essure augmentent, de 42 événements indésirables en 2012, 142 en 2014, 242 en 2015 et 162 en 2016 (jusqu'au 17 octobre), l'ANSM souligne que ces chiffres sont difficiles à interpréter. « Il s'agit du nombre de déclarations reçues par année et non de l'année de survenue des incidents » et, de préciser, « en 2016, plus d'un tiers des déclarations sont rétroactives (pour des incidents qui se sont déroulés entre 2011 et 2015) ».

Alors que « le Parisien » faisait sa une du jour sur «120 000 femmes sous surveillance » avec une interview de Marielle Klein, la DGS rappelait dans un communiqué comment le dossier a été géré par le ministère de la Santé à partir du mois de juillet 2015. La réalisation de la pose sous hystéroscopie et la surveillance à 3 mois sont apparues très vite comme des points essentiels, ce qui a conduit le ministère à encadrer la réalisation par un arrêté en février 2016 (formation des professionnels, limitation des établissements autorisés). Comme demandé par les autorités sanitaires, le laboratoire Bayer a fourni une brochure d'information aux patients. 

Toutefois, l'avocat des victimes indique que certains symptômes rapportés par les patientes ne sont pas décrits par les agences sanitaires. « Il peut s'agir de symptômes protéiformes très larges », indique l'avocat Joseph-Houdin. Ce peut être une très grande asthénie mais aussi des troubles neurologiques à type d'engourdissements, fourmillements, paralysie, migraine, des arthralgies, des cervicalgies et des troubles musculaires, des troubles ORL avec perte d'audition, sinusites, otites, une vision foule ou un syndrome dépressif. « Les patientes n'avaient pas ces symptômes auparavant, explique l'avocat. La chronologie des événements est compatible. En l'absence d'autres explications, l'hypothèse la plus probable semble être la pose des implants. » 

Le CNGOF appelle à explorer toutes les pistes scientifiques

Pour le Collège national des gynécologues-obstétriciens (CNGOF) saisi sur le sujet lors de ses Journées nationales à Montpellier (6-9 décembre), il est important que les médecins soient vigilants et à l'écoute des patientes. « Notre première proposition est de mettre en place un relevé prospectif des données pour avoir une évaluation épidémiologique la plus fiable possible, explique le Pr Olivier Graesslin, chef de service au CHU de Reims et chargé de piloter le groupe de travail dédié au CNGOF. Une autre piste est de lancer une enquête publique auprès des 170 000 femmes ayant eu une pose d'implants Essure. La brochure de Bayer peut être clarifiée avec le regard de patientes et de professionnels. »

En parallèle de l'effort de formation des professionnels, le groupe de travail appelle à établir une feuille technique de retrait du dispositif. Concernant les symptômes inhabituels, en particulier la fatigue chronique, les céphalées, les signes ORL, le Pr Graesslin estime « qu'ils posent question ». « L'allergie au nickel est souvent citée mais d'autres composants pourraient jouer un rôle, suggère-t-il. Il faut explorer la piste des phénomènes immuno-allergiques. » 

Audition fin janvier 2017

La première audition judiciaire est fixée à fin janvier 2017. Elle répondra à plusieurs questions : faut-il une expertise ? un ou plusieurs experts ? Bayer doit-il payer ?

Alors que l'avocat demande la nomination d'un seul expert pour une procédure moins lourde, de préférence « un interniste », qui puisse demander des avis complémentaires, le Pr Graesslin estime que le travail sur la causalité engage des compétences pluridisciplinaires sur le long terme. « Il faut laisser la porte ouverte à toutes hypothèses et centrer le débat sur les éléments scientifiques », conclut-il.

Dr Irène Drogou

Source : lequotidiendumedecin.fr