Un défi : comment penser à la fois l’impact de la pandémie sur notre système de santé et les transformations requises ? Il n’y a rien de plus hasardeux qu’un exercice de prospective. J’accepte volontiers d’être démenti par les faits ou par le débat contradictoire.
Il faut mener une réflexion à la fois sur les dispositions spécifiques à prendre pour mieux faire face à des épisodes futurs : stocks de sécurité, filières d’approvisionnement de produits stratégiques, par exemple. Mais aussi prendre le temps de réflexion sur les transformations déjà en cours ou les évolutions récentes en matière d’organisation et de financement des soins.
Sur le premier point, un débat récurrent a été celui du degré d’indépendance de la France en matière d’approvisionnement de produits stratégiques pour lutter contre des épisodes infectieux massifs : masques et kits de protection, médicaments, respirateurs. La relocalisation est la solution qui s’impose dans les débats. Elle est populaire également pour ses aspects positifs en termes écologiques. Elle va cependant nécessiter une réflexion produit par produit, car elle doit analyser tous les maillons de la chaîne de production : matières premières brutes, matières premières transformées, production, distribution et, dans le cas de la constitution de stocks de sécurité, durée et conditions de conservation des biens stockés.
Un élément de complexité supplémentaire est celui du marché européen : est-il envisageable que chaque pays ait une stratégie de relocalisation fondée sur l’autarcie ? Non, pour plusieurs raisons. L’accès aux matières premières brutes et transformées, où tous les pays seront en concurrence les uns avec les autres et avec les pays extra-européens, avec des situations de compétitivité différentes d’un pays à l’autre ; l’existence ou non d’un savoir-faire technologique ; la création éventuelle de sur-capacités menaçant la viabilité des entreprises. Faudra-t-il, comme pour les produits laitiers, introduire des quotas de production par pays avec des prix garantis ?
La politique de rigueur mise en cause
Sur le deuxième point, le système de soins est aujourd’hui mis en tension de façon exceptionnelle, dont on espère qu’elle ne va pas durer ni se reproduire trop souvent. On est face à une incertitude majeure : pour le coronavirus dont on ne connaît pas encore bien la diffusion, sa durée de vie, etc. On place beaucoup d’espoir dans le développement de vaccins pour construire une immunité de groupe, mais il restera encore beaucoup à apprendre : la mobilisation des ressources sanitaires va perdurer. Mais quid d’autres vagues pandémiques ?
Au-delà du rappel de ces incertitudes, la politique de rigueur dans le financement du système de santé est aujourd’hui mise en cause de façon véhémente. On ne voit pas comment le gouvernement pourra résister aux demandes de revalorisation des revenus des personnels soignants, à l’hôpital comme en ville. Je prends un risque sur la ville : le mouvement actuel de restructuration des modes d’exercice (MSPP) se prête à l’évolution vers un modèle à l’anglaise, au sein duquel les maisons de santé travaillent avec du personnel soignant salarié dont les salaires sont partiellement subventionnés par le NHS.
Mais d’un autre côté, il faudra y réfléchir à deux fois avant de remettre en cause la diminution de la capacité d’accueil en lits, et plaider éventuellement pour une ouverture d’un plus grand nombre de lits de réanimation. Sur ce dernier point, on pourra tirer des leçons des différents établissements quant à leur capacité à « bouger » les murs. Sur le premier point, la politique actuelle visant à revitaliser les structures d’hébergement de proximité prend tout son sens, mais faut-il revoir la politique de fermeture de lits MCO, guidée à la fois par des considérations de sécurité et de qualité des soins et de coût ? Faut-il également revoir les modes de tarification du secteur hospitalier privé, qui à l’heure actuelle ne leur permet pas de rentabiliser des lits de médecine, pourtant bien utiles en cas de pathologies infectieuses ?
Enfin, quid de la téléconsultation et de la médecine « numérique » ? Les Français sont forcés d’y recourir : le pli est-il pris ou bien attendent-ils avec impatience le retour à la consultation traditionnelle, permettant un contact humain plus riche ? Hasardons une hypothèse : les Français constateront peut-être que c’est un outil bien adapté au suivi de pathologies chroniques et qui ne supprime pas la visite en face-à-face de bilan régulier, ou pour la survenue d’épisodes aigus.
Par ailleurs, le succès et ce qu’on entend du haut degré de satisfaction de COVIDOM, l’application développée par l’AP-HP pour les patients Covid sortis de l’hôpital ou en épisode aiguë identifiée à domicile, montre l’extraordinaire potentiel de ce type de suivi au-delà de la pandémie, par exemple pour les patients atteints de cancer et en traitement oral à domicile.
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