La fluoxétine et la fluvoxamine seraient efficaces contre les formes graves de Covid. Cette hypothèse développée ces derniers mois a été présentée lors du 13e Congrès français de psychiatrie qui s'est tenu à Montpellier du 1er au 4 décembre. Les médicaments inhibant la sphingomyélinase acide (appelés Fiasma), et en particulier certains antidépresseurs inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine, semblent en effet capables de réduire la gravité du Covid-19, même chez les sujets à risque, comme le montrent de nombreuses études à travers le monde confirmant ainsi l’observation initiale d’une équipe française de l’AP-HP.
Première vague de Covid en Île-de-France : le Dr Nicolas Hoertel et le Pr Frédéric Limosin, psychiatres dans une unité de psychogériatrie de l’hôpital Corentin Celton à Issy-les-Moulineaux (AP-HP) observent que la plupart de leurs patients échappent à une forme grave de Covid et que certains, pourtant âgés et porteurs de nombreuses comorbidités, ne développent même pas de forme symptomatique.
Effet anti-inflammatoire des antidépresseurs
En cliniciens attentifs, ils s’interrogent sur l’effet potentiellement protecteur de médicaments psychotropes pris par ces sujets âgés. De nombreux antidépresseurs ont des effets anti-inflammatoires connus, ciblant notamment des marqueurs inflammatoires associés aux formes sévères de Covid (IL-6, IL-10, TNF alpha).
Afin de conforter leur postulat, l’équipe mène une étude observationnelle portant sur 7 230 patients hospitalisés en Île-de-France en s’appuyant sur la base de données de l’AP-HP. Ce travail publié en février 2021 dans « Molecular Psychiatry » confirme une association significative entre la prise d’un traitement antidépresseur dans les 48 heures suivant l’admission à l’hôpital et un moindre risque de décès ou d’intubation, potentiellement réduit de 44 %. L'effet est variable selon les molécules utilisées, certaines telles que la fluoxétine étant plus fortement associées à une réduction du risque (jusqu’à -74 %), tandis que d’autres ne semblent pas le modifier.
D’autres travaux viennent appuyer cette observation : en Espagne et aux États-Unis, de grandes études observationnelles confirment la réduction significative de mortalité chez les patients ayant une prescription d’antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) au moment de l’infection, en particulier avec la fluoxétine et la fluvoxamine.
De l’observation à l’explication
Par quel mécanisme, ces ISRS, et particulièrement la fluoxétine, pourraient-ils être efficaces ? Après la publication de ces premières études observationnelles, des chercheurs allemands évoquent leur capacité à inhiber la sphingomyélinase acide (ASM), une enzyme permettant la synthèse de céramides. Alors que ces lipides particuliers, situés à la surface des cellules, sont capables de piéger et de regrouper les récepteurs ACE2 du virus, cette inhibition empêcherait la pénétration du virus, et donc la réplication virale dans les cellules, y compris dans l’épithélium pulmonaire humain, et ce pour différents variants.
Plusieurs études, notamment dans « International Journal of Molecular Sciences » et « Scientific Reports », confirment la validité de l’hypothèse de l’effet antiviral et anti-inflammatoire des ISRS par leur effet anti-céramide. En mai 2021, une étude rapporte une association significative entre la prise d’antidépresseurs Fiasma et une réduction du risque de décès ou d’intubation dans un échantillon de 2 846 patients hospitalisés pour une forme sévère de Covid.
À la recherche de la preuve
Plusieurs essais cliniques confortent les données observationnelles : un essai américain randomisé publié dans le « JAMA » chez 152 patients symptomatiques pris en charge en ambulatoire, montre que les participants ayant reçu de la fluvoxamine pendant 15 jours présentaient un risque significativement plus faible d’aggravation clinique ou d’hospitalisation que ceux prenant un placebo (0 cas d’aggravation dans le groupe traité versus 8,3 % dans le bras placebo).
Dans un autre essai, ouvert cette fois, avec 113 patients symptomatiques pris en charge en ambulatoire (pas de placebo ni de randomisation, le traitement était donné selon le choix des patients), aucun de ceux traités par fluvoxamine sur une durée de 14 jours n’était hospitalisé et ne présentait de symptômes résiduels au bout de deux semaines, contre respectivement 12,5 % et 60 % des participants non traités.
L'étude intitulée Together, menée au Brésil chez près de 1 500 patients, donne des résultats prometteurs. De surcroît, dans une cohorte de sujets admis en réanimation pour une forme sévère de Covid, l’administration de 300 mg/j de fluvoxamine pendant deux semaines, en plus des soins usuels, permettait une réduction des décès de 42 % comparativement à des patients présentant les mêmes caractéristiques en termes d’âge, de sexe, de comorbidités, de sévérité et de statut vaccinal.
D’autres essais cliniques sont en cours (ACT-6) ou sur le point de débuter dans différents pays (États-Unis, Brésil, Inde) testant soit la fluvoxamine soit la fluoxétine, seule ou en association avec d’autres traitements potentiels. La fluvoxamine est actuellement prescrite en « off label » dans différents pays (États-Unis, Brésil, Inde) à des patients ambulatoires symptomatiques, à risque de forme sévère de Covid.
Bien tolérées et de très faible coût, la fluoxétine et la fluvoxamine administrées en cure courte de deux semaines dès le début de l’infection par le Sars-CoV-2 constituent un espoir d’autant plus grand que l'effet de blocage du virus dès l’entrée cellulaire n’est pas dépendant des variants. Cet exemple de « repositionnement thérapeutique » pourrait aussi ouvrir la voie à des innovations thérapeutiques dans d’autres maladies et à une meilleure compréhension de la voie des céramides.
* La conférence « Antidépresseurs et Covid-19 : de l’épidémiologie à l’hypothèse Fiasma » a été présentée par le Dr Nicolas Hoertel
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