« PRÉSENTES depuis vingt ans dans la Bande de Gaza, nos équipes observent depuis un an et demi une régulière détérioration des conditions de vie sanitaires de la population, témoigne Marie-Noëlle Rodrigue, responsable du desk urgence de Médecins sans frontières (MSF). Mais ce à quoi nous assistons depuis le lancement de l’offensive du 27 décembre atteint un paroxysme de violences que nous ne pouvons comparer à aucun autre. » Mardi, les sources médicales de Gaza faisaient état de plus de 582 Palestiniens tués, parmi lesquels 159 enfants, et de plus de 2 700 blessés, victimes de bombardements incessants et de violents tirs d’artillerie au sol, notamment dans les quartiers de Zitoun, Choujaïya et Touffah, à l’extrémité de Gaza-ville. Ces conditions ont contraint MSF à fermer les trois cliniques que l’association gère dans l’agglomération. « Nos 70 employés locaux, dont la moitié sont des médicaux (médecins et infirmiers), explique Jessica Pourraz, chef de mission à Gaza, tentent de secourir les blessés terrorisés avec des équipes mobiles qui affrontent des risques extrêmes pour se déplacer. Nous monitorons aussi les hôpitaux de la ville pour leur fournir les dotations en matériels et médicaments nécessaires à leur fonctionnement. ». Selon la responsable, des stocks ont pu être acheminés ces derniers jours sous l’égide du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) et du Croissant-Rouge palestinien, malgré les énormes difficultés rencontrer pour procéder à leur distribution au sein des établissements et des centres de secours.
À Médecins du Monde (MDM), autre ONG encore présente sur place, avec un programme de prise en charge des urgences et d’offre de soins de santé primaire, les cliniques aussi ont été contraintes à la fermeture et « les 17 ’health-workers’ doivent rester le plus souvent confinés à l’intérieur de leurs domiciles pour des raisons de sécurité, rapporte Sylvain Terver, chargé d’évaluer la situation depuis Jérusalem. Déjà victimes d’un stress permanent, les habitants, observe-t-il, s’attendent à tout moment à voir exploser une bombe sur leur habitation. »
Pris au piège.
Les opérations militaires empêchent les ambulanciers du Croissant-Rouge palestinien de répondre à de nombreux appels. Le CIRC cite ainsi le cas d’une parturiente de Zitoun (nord de la ville), atteinte d’une rupture utérine, dont la famille avait appelé durant plusieurs heures et qui a finalement dû être transportée à l’hôpital dans une charrette tirée par un âne. Son bébé est mort en venant au monde. « Les Gazaouis sont pris au piège d’une crise humanitaire totale », estime le directeur des opérations du CICR, Pierre Kraehenbuehl, qui fait également état d’une grave pénurie de denrées, de carburant et d’eau courante (50 % des puits et des stations de pompage ont été bombardés), ainsi que de coupures électriques. Des coupures qui n’épargnent pas les hôpitaux de la ville. Leur fonctionnement reste assuré grâce à des groupes électrogènes le plus souvent mal entretenus et qui peuvent tomber en panne à tout moment, les importations de pièces de rechange en provenance d’Israël étant limitées. « Dans les premiers jours des opérations, note Sylvain Terver, les bombardements ont créé une situation d’engorgement dans tous les services d’urgence. Les capacités d’accueil des structures de santé ont pu cependant faire face à nouveau au flux de blessés, en renvoyant chez eux tous les patients qui ne relèvent pas des soins de première urgence et pour lesquels le pronostic vital n’est pas en jeu. L’histoire récente a entraîné les équipes à réaliser des tris qui se font évidemment au détriment de la qualité des soins postopératoires. ». Certains matériels font crucialement défaut, comme les respirateurs dont certains doivent être actionnés manuellement. À l’exception de l’hôpital pédiatrique de Betlaïa, au Nord, dont les vitres ont été soufflées, les trois établissements de la ville (Central Hospital, Kamal Edwan Hospital et Shifa Hospital) peuvent encore pratiquer des opérations complexes de chirurgie de guerre, prenant en charge beaucoup de polytraumatisés, dans des conditions, précise Sylvain Terver, à peu près comparables à celles en vigueur en Europe pendant les années 1970. Mais « les équipes sont complètement épuisées », constate Jessica Pourraz. L’hôpital de Shifa, qui ne compte dans ses effectifs qu’un seul chirurgien vasculaire, a adressé au début de la semaine une demande de renfort chirurgical à MSF. L’association a constitué en toute hâte une équipe de cinq volontaires, dont un chirurgien et un anesthésiste, qui devaient rejoindre hier Jérusalem, dans l’espoir d’être autorisés par les autorités israéliennes à pénétrer dans Gaza. Les agences onusiennes et le CICR sont mis à contribution dans des procédures toujours délicates. Les autorités ont ainsi refusé l’accès cinq jours durant à une équipe médicale d’urgence du CICR, finalement autorisée à entrer par le point de passage d’Erez.
Redoutant que l’afflux quotidien et massif de blessés ne submerge les unités locales de chirurgie, MSF souhaite engager rapidement de nouveaux moyens. Jessica Pourraz espère pouvoir faire venir dans les prochains deux hôpitaux de campagne sous-tente, avec dix-huit lits et des plateaux techniques. Et des volontaires qui semblent déterminés à affronter le chaos humanitaire.
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