Les organoïdes sur puce, ces mini-organes qui tiennent sur un support de la taille d'une carte de crédit, résultent de la réunion entre plusieurs domaines de recherche : les organoïdes, les laboratoires sur puce et la microfluidique. À Grenoble, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) met à profit son interdisciplinarité pour pousser au niveau industriel cette technologie dont les applications sont multiples.
« Le CEA se positionne pour accompagner la maturation industrielle des organoïdes sur puce, et donc pour passer de prototypes de laboratoire à la production à grande échelle, afin de les faire adopter par les hôpitaux et les médecins pour une médecine de précision », avance Fabrice Navarro, chef du laboratoire Systèmes microfluidiques et bio-ingénierie au CEA.
Les organoïdes sont issus de cellules souches — qu'elles soient d'origine embryonnaire, fœtale, adulte ou qu'il s'agisse de cellules souches pluripotentes induites dites iPS — capables de s'auto-organiser en trois dimensions, sous forme de sphéroïdes, dans un milieu de culture approprié (un hydrogel) et de se différencier en différents types cellulaires afin de reproduire au moins une fonction de l'organe d'origine.
Systèmes miniaturisés et contrôlables
En parallèle de l'émergence de ces organoïdes, les organes sur puce se sont aussi développés. « Le premier organe sur puce a été mis au point par des Américains pour mimer la fonction primaire du poumon. Ils ont développé un système en 2D formé de deux couches cellulaires séparées par une sorte de membrane, avec des cellules pulmonaires d'un côté et des cellules des vaisseaux sanguins de l'autre, afin de reproduire la fonction de la barrière alvéolo-capillaire (1) », explique Fabrice Navarro.
La microfluidique, qui permet la manipulation de fluides à très petite échelle à l'aide de microcanaux (de l'ordre de quelques micromètres), a permis de complexifier ce dispositif mimant la fonction pulmonaire et de stimuler la fonction barrière alvéolo-capillaire. « La microfluidique, inspirée des techniques de fabrication de la microélectronique, a permis d'améliorer la fonctionnalité de cette bicouche cellulaire, en apportant notamment la capacité d'étirement », poursuit le chercheur.
Ont aussi été imaginés, à partir de cette approche, des laboratoires sur puce, c'est-à-dire des systèmes miniaturisés rendant possibles des analyses biologiques en dehors du laboratoire. Les laboratoires sur puce intègrent ainsi des protocoles biologiques pour détecter des protéines, des peptides ou des acides nucléiques à partir de très petits volumes d’un échantillon biologique.
Vers des multi-organoïdes sur puce
« Avec les organoïdes, nous avons des systèmes auto-organisés, mais nous ne contrôlons pas le processus. En y associant la microfluidique, nous arrivons à mieux contrôler les différents paramètres, ce qui nous permet de disposer d'un système biologique encore plus complet et complexe, qui peut être perfusé et vascularisé », souligne Xavier Gidrol, chef du laboratoire Biologie à grande échelle au CEA. Il est également possible de prélever ce que l'organoïde va sécréter dans le milieu.
L'objectif est ensuite de développer des multi-organoïdes sur puce, alors que cette approche rend en effet possible les échanges entre plusieurs organoïdes intégrés dans une même puce. Les organoïdes sur puce tendent à devenir des systèmes de plus en plus sophistiqués, alors que les organoïdes simples étaient confrontés à la limite de l'absence de communication avec l'extérieur.
Des modèles humains pertinents
Les applications sont vastes. Les organoïdes sur puce sont utiles en recherche fondamentale pour mieux comprendre la biologie du développement et les causes des maladies. Ils représentent également un intérêt croissant pour la recherche pharmaceutique. Ils peuvent aussi être utilisés pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, mais surtout « ils constituent des modèles humains au plus proche de la réalité physiologique de l'organe et nous permettent ainsi d'étudier l'efficacité et la toxicité des molécules », détaille Xavier Gidrol.
Pour Fabrice Navarro, cette approche est très pertinente pour évaluer les médicaments d'origine biologique et tester leur compatibilité avec du matériel humain. « Elle l'est aussi pour tester les immunothérapies, car le système immunitaire d'une souris est très différent de celui de l'homme », précise-t-il. Les organoïdes sur puce représentent ainsi une alternative aux modèles animaux. « Les modèles animaux ont en effet des limitations scientifiques, sans parler des limitations éthiques », note Xavier Gidrol.
Les organoïdes sur puce à l'hôpital d'ici à 10 ans
Au-delà de la recherche fondamentale et pharmaceutique, les chercheurs du CEA estiment que les organoïdes sur puce ont aussi toute leur place dans le parcours de soins et la pratique hospitalière. « Nous pensons vraiment qu'ils ouvrent des possibilités en médecine personnalisée, dès lors qu'il sera possible de créer des organoïdes sur puce avec les cellules du patient », considère Xavier Gidrol. Chaque patient aura alors son avatar sur lequel pourront notamment être testés divers traitements.
« Dans un futur un peu plus lointain, nous pensons aussi que la complexification des organoïdes sur puce permettra d'améliorer le succès des essais cliniques, en limitant les risques pour les patients avec des essais cliniques qui se feront d'abord ex vivo sur puce », poursuit le chercheur. Les organoïdes sur puce permettront notamment de mieux étudier des populations peu incluses dans les essais, comme les femmes enceintes. Les essais seront alors plus spécialisés et moins coûteux.
Les organoïdes sur puce suscitent aussi l'espoir en médecine régénératrice. Ils pourraient pallier une fonction endommagée en attendant une greffe d'organe par exemple.
« À Grenoble, nous disposons d'un écosystème riche en interdisciplinarité, avec toutes les compétences nécessaires pour pouvoir aboutir in fine à des organoïdes sur puce fonctionnels et validés dans les laboratoires, souligne Fabrice Navarro. Mais il faut aussi être capables de les fabriquer à large échelle et de faire en sorte qu'ils soient reproductibles. C'est pourquoi nous devons intégrer, dès les premières étapes de la recherche, les contraintes des procédés de fabrication et les différents besoins en matériaux, comme le silicium. »
Au CEA, les cinq prochaines années devraient ainsi voir l'avènement des organoïdes sur puce et des puces multi-organoïdes, tandis que leur intégration dans le parcours de soins par les hôpitaux et les médecins est prévue à une échéance de 10 ans.
(1) D. Huh et al. Science, 2010. doi: 10.1126/science.1188302
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