Il est difficile de réparer le nerf optique lésé et il n’existe actuellement aucun traitement pouvant restaurer la perte visuelle liée à la vieillesse ou au glaucome avancé, une cause majeure de cécité. L'équipe de David Sinclair à la faculté de médecine de Harvard à Boston a cherché à savoir s’il était possible de reprogrammer des cellules ganglionnaires de la rétine pour leur redonner une seconde jeunesse en leur conférant une capacité de régénération. Leurs travaux sont publiés dans la revue « Nature ».
Déjà en 2016, Belmonte et al. avaient montré qu’une reprogrammation partielle des cellules chez la souris âgée, en induisant l’expression des quatre facteurs de transcription de Yamanaka (Oct4, Sox2, Klf4, and c-Myc [OSKM]) pendant quelques jours seulement, pouvait rajeunir les cellules sans leur faire perdre leur identité et améliorer ainsi la régénération.
Ici, Lu, Sinclair et al. ont utilisé une approche plus sûre. Après avoir exclu l’oncogène Myc associé à la cancérogenèse, ils ont intégré dans un vecteur viral adéno-associé (VAA) les trois gènes OSK, ainsi qu’un promoteur activant l’expression des trois gènes seulement durant un traitement par doxycycline. Ils ont découvert que cette thérapie génique brève, injectée dans le corps vitré après lésion du nerf optique, peut effectivement améliorer la survie des CGR et stimuler la régénération des axones jusqu’au chiasma optique, autant chez les souris jeunes que chez les plus âgées. De plus, ce traitement permet de restaurer l’acuité visuelle chez des souris âgées ou atteintes de glaucome avancé.
Restauration d’une signature épigénétique « jeune »
Une hypothèse émergente attribue le vieillissement à l’accumulation de « bruit » épigénétique sur le génome des cellules : ces « bruits » ou changements moléculaires modifieraient les schémas d’expression des gènes, amenant ainsi des pertes de fonction tissulaire et de capacité régénérative. Par exemple, des schémas de méthylation de l’ADN, fixés durant l’embryogenèse et déterminant le type et la fonction de la cellule, se modifient durant le vieillissement, permettant ainsi d’estimer l’âge des cellules.
Lu et al. ont ainsi découvert que la lésion des axones des CGR accélère la méthylation de l’ADN de la même façon que le vieillissement cellulaire et, inversement, l’expression thérapeutique OSK restaure les schémas précoces de méthylation de l’ADN. « Ces données suggèrent que les tissus conservent un enregistrement de l’information épigénétique jeune, en partie codée par la méthylation de l’ADN, et qu’elle est accessible pour améliorer la fonction tissulaire et favoriser la régénération », propose l’équipe.
Implications thérapeutiques chez l’homme
Sur des neurones humains en culture, l’équipe a constaté que la thérapie OSK améliore également la repousse des axones et leur survie cellulaire, ce qui suggère une application possible en thérapeutique. Cette approche pourrait en outre s’appliquer vraisemblement aux autres neurones du cerveau et de la moelle épinière.
« Ces résultats vont forcément susciter un grand enthousiasme, non seulement dans le domaine de la restauration de la vision mais aussi chez ceux qui cherchent à comprendre la reprogrammation épigénétique des neurones et d'autres types de cellules en général, souligne dans un commentaire associé le Dr Andrew Huberman, neurobiologiste à l’université de Stanford. On a longtemps pensé qu’une meilleure compréhension des processus du développement des neurones pourrait procurer un jour les outils pour réparer le cerveau âgé ou endommagé. L’étude de Lu et al. montre clairement que cette ère est arrivée ».
Une stratégie à affiner
Selon « Nature News », Harvard a accordé une licence de développement à la compagnie bostonienne Life Biosciences. « Nous espérons pouvoir débuter dans deux ans un essai chez des patients glaucomateux », confie au « Quotidien » le généticien Yuancheng Lu de l'université d'Harvard. L’équipe devra au préalable préciser la durée et la dose du traitement de reprogrammation et sélectionner la meilleure approche (virale ou autre) pour délivrer les trois gènes. « Nous envisageons d’autres approches d’administration de la thérapie, laisse entrevoir le Pr Sinclair, co-directeur du centre de biologie du vieillissement à Harvard. Nous nous intéressons aussi à d'autres maladies oculaires et au rajeunissement d'autres organes ».
Dans « Nature News », le Pr Botond Roska, codirecteur de l'Institut d'ophtalmologie moléculaire et clinique à Bâle et lauréat cette année du prix européen Korber pour ses récents travaux visant à restaurer la vision, a, quant à lui, déclaré : « Ce serait une approche innovante pour traiter la perte de vision. Mais il faudra probablement l'affiner considérablement avant qu'elle puisse être déployée en toute sécurité chez l'homme ».
Y. Lu et al., Nature, 2020. 10.1038/s41586-020-2975-4
A. Huberman, Nature, 2020. 10.1038/d41586-020-03119-1
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