Venue du SAMU Social de Paris, le Dr Hélène de Champs-Léger est la PH qui dirige la PASS (permanence d’accès aux soins de santé) de l’Hôtel-Dieu de Paris depuis 2008. Au cœur de la capitale, la croisée des RER A et B draine dans sa permanence 5 000 consultants par an, dont 25 % sont des nouveaux venus.
Son diagnostic est sévère : « En 2005, constate-t-elle, 50 % de nos patients étaient en situation de très grande difficulté contre 90 % cette année ; 10 % d’entre eux ne bénéficiaient pas alors de droits sociaux, tandis qu’ils représentent aujourd’hui 50 % de la file active. C’est de pire en pire. »
La clinique de la rue est devenue une spécialité à part entière, à la fois par les pathologies qui sont traitées que par les protocoles qui s’appliquent, explique la PH, contrairement à ce qu’ont longtemps professé les enquêtes épidémiologiques : « Par rapport à une patientèle de ville, observe-t-elle, la PASS prend en charge beaucoup moins de pathologies aiguës de type viral, mais elle suit beaucoup plus de pathologies chroniques, à la fois multiples et parvenues à un stade très avancé (diabète, anémie…). En parasitologie, les dermatoses (galles, puces des parquets) sont visibles sur les pieds, qu’il faut souvent déchausser soi-même ; chez les migrants, nous dépistons chaque année une vingtaine de sérologies positives pour l’hépatite C et une quarantaine vis-à-vis de l’hépatite A ; pour la tuberculose, nous avons compté 52 radios suspectes et une vingtaine de cas. »
La traumatologie est liée, pour sa part, « aux violences de la rue, les patients arrivent cassés de partout ». « Il y a aussi, ajoute le Dr de Champs-Léger, beaucoup de fractures de fatigue, en lien avec l’hébergement précaire et les heures de marche effectuées tout au long de la journée. Au chapitre addiction, les grands alcooliques sont plus souvent orientés aux urgences que chez nous, de même pour les usagers du subutex ou de la méthadone, nous ne sommes pas les mieux placés. Enfin, pour les troubles psychologiques, les souffrances doivent être comprises en relation avec les psycho-traumatismes survenus dans les pays d’origine et dans les situations d’exil ; avec les grands psychotiques, les soins sont centralisés sur le somatique pour tenter, avec énormément de travail d’écoute, d’aborder progressivement les soins psychiatriques. Sinon, c’est la rupture de la permanence des soins. »
« L’écoute, c’est sûrement l’une des spécificités de la prise en charge des personnes à la rue », insiste Hélène de Champs-Légers. « Plus elles sont désocialisées, plus il faut les aider à verbaliser, sous peine de passer à côté du diagnostic. Sans écoute sociale, pas de réelle prise en charge médicale, et réciproquement, sans attention aux pathologies de la personne, pas de bonne prise en compte sociale. C’est ce qui nous impose à l’intérieur de l’hôpital de travailler en binôme, avec une collaboration essentielle entre le praticien et l’assistante sociale. »
Un lien ultra-fragile
Cette « transversalité » s’applique aussi à l’extérieur, avec des réseaux qui permettent d’orienter la personne vers le site le mieux placé : un autre établissement hospitalier, des lits infirmiers du SAMU social, un CASO de Médecins du Monde, un cabinet de généraliste ou un correspondant spécialiste. S’agissant des médecins de ville, une « fibre sociale » est nécessaire.
« Quand on bascule le patient vers une autre unité, ou lorsqu’on entre dans un suivi, le rapport au temps devient crucial. Fixer un rendez-vous n’est pas anodin pour une personne chez qui une échéance à trois ou à six mois ne veut rien dire. C’est alors qu’il faut vraiment rentrer dans son histoire, explorer avec elle son passé pour tenter de projeter un scénario sur son avenir et envisager une permanence de soins. »
Car le lien entre le médecin et la personne à la rue reste ultra-fragile : « Son accès au soin s’est produit souvent à la suite d’une situation d’urgence et la poursuite de sa prise en charge va nécessiter un accompagnement très resserré, le "care" comme on dit. Par exemple, pour aller effectuer une prise de sang ou passer une radio, je vais l’escorter vers le service, sous peine de la voir disparaître dans les couloirs et ne plus revenir. Seconder le patient est primordial, au moins au début de son parcours. »
De ce point de vue, « l’hôpital, avec son professionnalisme et son plateau technique se prête sans doute mieux qu’un local associatif à la prise en charge des personnes désocialisées », estime la responsable de la PASS de l’Hôtel-Dieu. La clinique de la rue mériterait donc être mieux intégrée à la communauté hospitalière, alors même que la situation sociale des patients se dégrade. De même qu’elle justifierait d’être reconnue et enseignée à la faculté. En attendant, le Dr Hélène de Champs-Léger dit puiser sa première gratification dans les regards échangés avec ses consultants : « Comme disait Gandhi, "puisque la fin ne nous appartient pas, seuls comptent les moyens que nous pouvons mettre en œuvre". En l’occurrence, le soin et la relation médecin-patient priment sur la guérison. »
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