LE CONSENSUS n’a pas souffert d’outrage mardi soir à l’Assemblée nationale. Une cinquantaine de députés de droite, du centre et de gauche ont voté la proposition de résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France sur la prostitution, présentée par Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP)*. Cette résolution a un triple objectif : faire prendre conscience de la réalité de la prostitution aujourd’hui, rompre le mythe de la prostitution comme « plus vieux métier du monde » et réaffirmer la lutte contre cette activité.
Selon le rapport de la mission d’information conduite par Mme Bousquet et M. Geoffroy, présenté en avril dernier, le visage de la prostitution a changé en vingt ans. Sur les 20 000 personnes qui font commerce de leur corps, 85 % sont des femmes, et 90 % d’entre elles (contre 20 % en 1990) sont étrangères. D’après l’exposé des motifs de la résolution, ces personnes sont victimes de violences physiques et psychiques particulièrement graves. « Des enquêtes menées aux États-Unis, au Canada, et en Allemagne montrent que (...) plus de 50 % des personnes prostituées interrogées ont été violées. Elles auraient entre 60 et 120 fois plus de risques de mourir assassinées. »A contrario, l’abolition de la prostitution n’a pas provoqué pas une augmentation du taux de viols en Suèdedepuis 1999.
Les députés s’en prennent ensuite aux idées reçues qui font de la prostitution un travail, voire un choix. « Non la prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde, il faut désormais l’envisager sous l’angle des violences faites aux femmes », a déclaré Guy Geoffroy. « Elle fait le plus souvent suite à un événement traumatique, quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe. Si une infime partie des personnes prostituées revendiquent leur libre arbitre, cela ne doit pas conduire à fermer les yeux sur toutes les autres », argumentent les auteurs de la résolution. Et elle ne rendrait pas service à des hommes dans la misère sexuelle. Les deux-tiers des clients de prostituées sont ou ont été en couple, et la moitié sont pères.
Danielle Bousquet et Guy Geoffroy préconisent donc de tout mettre en œuvre pour proposer aux personnes prostituées des alternatives, de développer l’information, la prévention et l’éducation, et, mesure jusqu’à présent inédite, de responsabiliser les clients comme en Suède. En clair, la proposition de loi prévoit la création d’un délit de « recours à la prostitution », sanctionné par des peines allant jusqu’à 2 mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. Initiative à laquelle la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, s’est dite « favorable, à titre personnel ». « Il est essentiel que le client prenne conscience qu’en achetant un acte sexuel il perpétue ce système », a-t-elle avancé.
Cette proposition de loi n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée et ne le sera probablement pas avant mai 2012. Pourtant, elle ne manque pas de renforcer les positions respectives des partisans de l’abolitionnisme et de ses adversaires, au-delà des clivages politiques.
Et la santé ?
Les discussions se concentrent essentiellement sur la pénalisation des clients. « Si (c’était) la solution, il y a longtemps qu’on l’aurait trouvée », a ironisé le député UMP Jacques Myard. « On est dans la démagogie la plus complète. La France invente l’eau chaude ; par les temps qui courent, on a d’autres sujets à traiter », a renchéri Lionnel Luca (UMP). « Le cœur du problème n’est pas dans un système répressif contre le client, mais dans une action contre les réseaux de prostitution étrangers et les transferts d’argent vers les pays qui alimentent ses réseaux », a développé Elie Aboud (UMP).
À gauche de l’hémicycle, Jean-Paul Lecoq, député communiste, exige la suppression du délit de racolage passif, créé par Nicolas Sarkozy en 2003, afin que la prostituée soit considérée jusqu’au bout comme une victime. Et Élisabeth Badinter s’est prononcée contre l’abolition et la pénalisation : « Si une femme souhaite gagner en trois jours ce que d’autres gagnent en un mois à la caisse d’un supermarché, c’est son droit. Seule condition, mais elle est essentielle, c’est qu’elle ne soit pas contrainte. »
En revanche, silence sur la protection de la santé des travailleurs du sexe, qui n’a été évoquée que par les associations de prévention. Une dizaine de leurs membres se sont réunis à l’appel du syndicat du travail du sexe (STRASS) mardi devant l’Assemblée en brandissant une banderole explicite : « répression = contamination ». « Les politiques de pénalisation mettent en danger les prostituées qui ne sont plus en situation de négocier l’utilisation du préservatif, par exemple, se trouvent fragilisées et multiplient les prises de risque », a expliqué Vincent Doubrère, coordinateur des associations nationales de lutte contre le sida.
* Et Jean-Marc Ayrault (SRCDG), Christian Jacob (UMP), François Sauvadet (NC), Yves Cochet (EELV), Marie-George Buffet (GDR), Martine Billard (GDR), et Marie-Jo Zimmermann (UMP).
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