« L’ENQUÊTE de "Sciences et Avenir" apporte les preuves des risques de dérives sectaires liés aux (médecines parallèles), qui tentent également d’infiltrer l’université ». Rien que le chapô de cette longue enquête a suffi à émouvoir le grand public et le monde hospitalier. Les dérives sectaires planent-elles au-dessus de l’hôpital, où les médecines alternatives leur ouvriraient la voix royale ?
Face à une nébuleuse de techniques d’emprise, le constat ne peut être aussi tranché. « Je ne dis pas que l’hôpital est infiltré », nuance Catherine Picard, présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI). « Les sectes n’entrent pas directement à l’hôpital », corrobore Didier Pachoud, président du Groupe d’étude des Mouvements de Pensée en vue de la Protection de l’Individu (GEMPPI).
Filon du bien-être.
Mais nombreux sont les potentiels points d’entrée des dérives sectaires dans les établissements de santé. Les formations proposées au personnel hospitalier, relevant de services sensibles comme la cancérologie ou la réanimation, sont une première brêche. « Nous recevons des demandes de directeurs des hôpitaux au sujet de formations, non pas professionnelles, mais d’écoute : ils nous demandent si nous connaissons les organismes », indique au « Quotidien » le président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), le Dr Serge Blisko. Les personnels sous pression sont des proies fragiles. L’an passé, une jeune kinésithérapeute de 23 ans, récemment diplômée et exerçant au centre hospitalier régional de Lille en réanimation, s’était inscrite dans un cours de théâtre pour retrouver la sérénité. Elle y rencontre une adepte du mouvement « La voix de la lumière ». Elle suit 7 formations, se tourne vers le tarot, consulte un kinésiologue, et rompt peu à peu avec son entourage. Elle mettra fin à ses jours quelques mois plus tard.
Autre interstice, les « pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique » (PNCAVT), dont les bases ne sont pas reconnues par la communauté scientifique (à la différence des médecines complémentaires), exploitent dangereusement le filon du bien-être. Charline Delporte, présidente de l’ADFI 59, rapporte les confidences de l’amie d’une femme hospitalisée pour un cancer en phase terminale. Elle « ne la reconnaît plus » et craint qu’elle n’arrête ses traitements. La malade aurait suivi, pour la somme de 1 000 euros, un séminaire sur la méthode Hammer dont elle serait revenue en affirmant avoir vu la réincarnation du comte de Saint-Germain.
D’après l’expérience de Didier Pachoud, c’est un chef de service, qui, au nom du confort de ses patients, a introduit des pratiques magiques dans le cadre d’une unité de soins. « Quand je le lui ai signalé, il m’a menacé de procès. Puis il m’a intégré au staff pendant un an. Les techniques magiques ont été évacuées, la méditation s’est laïcisée, l’unité fut dissoute », explique-t-il. « Le glissement se faisait à l’insu du chef de service. Un regard extérieur peut être salvateur », poursuit le président du GEMPPI.
Des mouvements peu scrupuleux parviennent ainsi à noyauter les facultés de médecine en décrochant leur haut patronage ou en proposant des diplômes universitaires aux frais d’inscription juteux. « C’est un vaste problème : il existent beaucoup de diplômes, avec des sur et sous spécialisations et parfois des médecins associés non diplômés », reconnaît le Dr Blisko.
Prévention.
En l’absence d’un bilan chiffré de la MIVILUDES, se faire une idée de l’ampleur du phénomène est délicat. L’hôpital est un aimant pour les dérives sectaires : lieu ouvert, il abrite des malades, leurs familles, et des salariés vulnérables. Mais il n’est pas dépourvu d’armes pour se défendre. « Si un médecin ou un professionnel se laisse piéger, l’équipe peut être un garde-fou », suggère Serge Blisko. Et les patients restent entourés, contrairement à un malade qui s’égarerait seul sur la toile où les blogs de gourous et pseudo-thérapeuthes fleurissent.
Par prévention, la prudence reste de mise à tous les niveaux. Le président de la MIVILUDES demande aux présidents d’université de renforcer le contrôle des formations. Selon le Pr Dominique Perrotin, président de la conférence des doyens il faut surtout consolider les filtres existants, le conseil de gestion de la faculté et le conseil des études de la vie universitaire, qui valident les DU. « Deux à trois fois par an, je vérifie moi-même les demandes de DU et n’accepte pas ceux qui n’ont pas de fondements scientifiques. Certains DU devraient être dépoussiérés », témoigne-t-il. Mais la surveillance s’arrête aux professeurs. « Ils passent devant un conseil national de l’université, il existe ensuite des dispositifs disciplinaires. »
Le président de la MIVILUDES fait aussi confiance aux associations de malades pour aider à « faire le ménage » parmi les bénévoles. Et de citer l’Unafam et la Fnapsy, deux associations qui ont pignon sur rue dans le domaine de la psychiatrie, comme barrière contre des groupes tendancieux comme la commission des citoyens pour les droits de l’homme, liée à la Scientologie.
Confusion et soupçon.
« On demande aux responsables des hôpitaux et universités d’avoir la problématique des dérives sectaires en tête : ça existe, même si ce n’est pas généralisé », résume Serge Blisko. « Ne laissons pas rentrer n’importe qui à l’hôpital », s’exclame de son côté Catherine Picard.
Contrecoup : cette prudence nourrit un climat de soupçon généralisé à l’égard de toute pratique non-orthodoxe. L’initiative de l’Assistance-Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) de valoriser les médecines complémentaires, à travers la création d’ici la fin de l’année, d’un comité hospitalo-universitaire pour les médecines complémentaires (CHUMC), a fait des remous. « Dans le contexte difficile actuel, y aura-t-il les moyens d’une véritable surveillance des professionnels ? », s’interroge Catherine Picard. Serge Blisko reconnaît l’intérêt d’évaluer les pratiques complémentaires comme l’hypnose et l’acupuncture. « Mais ceux qui lancent ce genre de projet ne se rendent pas compte que cela peut être récupéré par des personnes peu scrupuleuses, qui y verront une caution », prévient-il.
L’Académie nationale de médecine s’est emparée du sujet dans le cadre d’un rapport sur l’efficacité des techniques non conventionnelles, qui devrait être publié début 2013. Le rapporteur Daniel Couturier veut toute raison garder. « Nous ne traitons de dérives sectaires qu’à la marge : on met en garde contre l’autorité que pourraient s’octroyer quelques personnalités. Mais à l’AP-HP le risque est très faible », assure-t-il.
À l’AP-HP, le Dr Catherine Viens-Bitker, en charge du projet, affirme n’avoir rien à dire sur les dérives sectaires. « Nous abordons le sujet des médecines complémentaires uniquement dans une démarche institutionnelle. Nous évaluons la place des traitements complémentaires et nous construisons un cadre pour une offre existante. Nous n’avons pas traité des dérives sectaires mais nous mettons en place un dispositif, le « CHUMC » pour encadrer ces pratiques dans les hôpitaux de l’AP-HP », répond-elle.
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