LE QUOTIDIEN - Quels effets du froid hivernal prolongé constatez-vous dans le cadre de la consultation Baudelaire que vous assurez à la PASS de Saint-Antoine ?
Dr JACQUES LEBAS - Avec des températures inférieures à zéro pendant huit jours et huit nuits consécutifs, nous traitons une morbidité accrue chez des patients plus nombreux. Les syndromes de Raynaud connaissent une recrudescence, ainsi que les crises drépanocytaires et bien sûr toutes les infections respiratoires. Mais les études sur la question, essentiellement canadiennes, montrent que les pathologies les plus lourdes liées à l’hypothermie se déclarent avec un effet retard : il faut compter quinze jours pour que surviennent les infarctus, et trois semaines pour les accidents vasculaires cérébraux.
À côté d’une élévation de la morbidité, qu’en est-il de la mortalité due au froid ?
Moins de 1 % des personnes retrouvées mortes dans les rues l’hiver sont décédées réellement d’hypothermie. En France, cela représente quelques cas (le collectif les Morts de la rue a dénombré 369 morts pour l’année 2008, NDLR). Mais aux États-Unis et au Canada, des études réalisées sur une dizaine d’années rapportent plusieurs centaines de décès par hypothermie, avec des températures du corps qui ont chuté sous le seuil critique de 35 degrés, entraînant des comas irréversibles.
Chez nous, les autopsies effectuées sur les morts du bois de Vincennes n’ont pas conclu à une cause de décès par hypothermie. Mais, évidemment, la vague de froid, comme l’été la vague de chaud, constitue un facteur aggravant, avec divers facteurs associés que sont les prises de benzodiazépine, d’alcool ou de drogues.
Quel type de prise en charge préconisez-vous ?
Il faut soustraire les personnes au froid sur une période prolongée, c’est-à-dire ne pas se contenter de les abriter pendant la nuit en les remettant dehors au petit matin, comme cela se passe pratiquement dans tous les centres d’hébergement d’urgence. Agir ainsi, c’est appliquer un faux remède. Vous évitez, certes, de retrouver le matin des morts dans les rues, mais vous ne protégez pas les gens contre les pathologies associées. C’est la raison pour laquelle nous hébergeons à Saint-Antoine les patients qui viennent consulter pour qu’ils restent au chaud toute la journée, jusqu’à l’ouverture des centres en début de soirée. Le plan grand froid comporte une lacune. Il doit être revu pour imposer l’ouverture des centres 24 heures sur 24 lorsque la période de froid se prolonge comme actuellement au-delà d’une semaine.
Quelles sont les personnes les plus exposées aux risques hypothermiques ?
Tout le monde pense aux personnes sans domicile. Parmi elles, les malades psychiatriques sont à suivre particulièrement. Comme l’été avec les phénomènes de déshydratation, ils ne prennent pas conscience des risques. N’ayant pas la résilience d’une personne qui, pour se défendre du froid, va marcher et effectuer des mouvements de réchauffement, ils restent assis ou immobiles, sans réaction, totalement vulnérables.
Mais les sans-abri ne sont pas les seuls en danger par grand froid prolongé. De plus en plus de personnes vivent dans des conditions précaires, avec des chauffages insuffisants ou défectueux, et des risques d’intoxication au monoxyde de carbone.
Depuis plusieurs mois, nous voyons un nombre croissant de travailleurs pauvres qui viennent consulter. Il s’agit de salariés qui ne bénéficient ni de la CMU, ni d’une assurance complémentaire et pour lesquels les dépenses de santé ne sont pas prioritaires. Autrefois, ils n’osaient pas s’adresser à une PASS. Le fait qu’ils décident désormais de venir consulter chez nous représente un phénomène nouveau.
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