Le débat sur l’assistance médicalisée pour mourir

Les soignants sont pris en otage

Publié le 24/01/2011
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Crédit photo : S TOUBON

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LE QUOTIDIEN Vous avez écrit votre livre à la destination première des soignants. Pourquoi pensez-vous que les professionnels de santé sont pris en otage par cette question de l’euthanasie ?

Dr BERNARD-MARIE DUPONT - En tant que soignant et prof de philo, j’ai voulu essayer d’apporter des éléments objectifs de réponse par rapport à ce que j’avais vu du débat. J’entends régulièrement que les médecins sont des monstres car ils sont contre la légalisation de l’euthanasie ou bien qu’il ne faut pas mourir à l’hôpital car on va vous assassiner et que, dans l’ombre, des milliers d’actes d’euthanasie sont pratiqués. Le tableau que l’on fait de la fin de vie est terrible. Je suis souvent confronté à des interrogations de soignants qui ne se retrouvent pas dans les clivages habituels. Il y a beaucoup trop de polémiques, d’affaires médiatiques, d’inexactitudes et de contradictions. Il faudrait agir par compassion tout en respectant la dignité de la personne en fin de vie : je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire. Je rappelle que nous avons prêté un serment, celui d’Hippocrate, qui est de ne jamais donner la mort. Il faut respecter le droit des patients en fin de vie mais en même temps, les praticiens se devraient de donner la mort : pour exprimer ma liberté de patient, je suis prêt à confisquer la vôtre ! La clause de conscience qui permettrait au médecin de refuser de participer à un tel acte n’est qu’un biais puisqu’il est alors tenu d’orienter le patient vers un confrère : on ne fait que renvoyer la balle. Nous sommes dans un climat ambiant d’individualisme forcené où le collectif est dévalué au profit de l’intérêt particulier. On ne fait pas une loi à partir d’exceptions.

LA MORT N’EST PAS UNE RÉPONSE TECHNIQUE À UNE QUESTION PHILOSOPHIQUE

Vous êtes défavorable à la légalisation de l’euthanasie et pourtant vous vous montrez très critique par rapport à la loi Leonetti. Que lui reprochez-vous

 ?

Je ne remets pas en cause l’intention de Jean Leonetti mais je pense que la loi a été bâclée dans son écriture. À partir du moment où elle est imprécise d’un point de vue juridique, elle ouvre la porte à des interprétations. La loi indique que le médecin doit sauvegarder la dignité du mourant. Si demain l’euthanasie est légalisée, c’est le médecin qui est garant de la dignité de la personne en fin de vie. Imaginons par exemple qu’une personne âgée, qui ne reçoit plus de visites, perde la tête, le médecin pourrait donc décider que c’est le bon moment pour qu’elle parte. C’est une faille terrible. Autre chose, on a dit que le patient pouvait se choisir une personne de confiance, écrire des directives anticipées. Mais les souhaits du patient ne prévalent que sur un avis non-médical. On a fait croire au patient qu’il avait des droits nouveaux mais on n’a pas voulu donner aux directives le statut de testament. À mon sens, on a réintroduit un paternalisme médical qu’on croyait oublié. En voulant, sans doute par excès de précipitation, empêcher une dérive du débat sur l’euthanasie, on a fait pire que mieux. Mais je sais que je suis minoritaire à penser cela. Si j’étais un membre de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), je rebondirais sur les insuffisances de la loi pour les dénoncer. Le point positif, c’est la prise en compte du principe du double effet d’un traitement antalgique : il fallait dédouaner les soignants de l’accusation infondée et injuste d’euthanasie passive.

Mais la collégialité, dont vous regrettez l’absence, est prévue dans la loi...

Vous pouvez la relire : le mot collégialité apparaît en effet une ou deux fois mais jamais on ne précise les conditions de son application, l’obligation que cela implique. On ne parle que du médecin ou de l’équipe. Mais de quelle équipe s’agit-il ? C’est pour moi la négation de tout ce que l’on fait en soins palliatifs : essayer de montrer qu’il n’y a pas seulement les médecins. J’en ai discuté avec beaucoup de soignants qui ne se sentent pas concernés par la loi Leonetti. Si j’étais député, je demanderai une modification en profondeur de ce texte.

Selon vous, que serait une bonne loi ?

Ce serait déjà une loi très précise d’un point de vue juridique pour éviter les ambiguïtés. Il faudrait repréciser les conditions de la collégialité : je crois que le meilleur service qu’on puisse rendre au médecin, c’est de montrer que plus il sera seul à prendre une décision difficile, plus il prendra le risque d’être dans l’erreur. Au contraire, le patient a besoin d’être éclairé de regards croisés et différents. Quand on est hospitalisé, on ne dit pas la même chose à l’infirmière, au médecin ou à l’aide-soignant. Je pense que les patients seraient rassurés de savoir que le médecin est obligé de discuter avec les paramédicaux et de tenir compte de ce que disent les autres professions. Il faut aussi revoir le statut juridique de la directive anticipée et de la personne de confiance.

Estimez-vous que les soins palliatifs sont suffisamment développés en France

 ?

C’est le principe du verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut toujours faire mieux, probablement. Mais il faut reconnaître que les choses ont changé. Aujourd’hui, on parle plus facilement de la fin de vie, même si je suis stupéfait de constater que la mort reste un tabou. On traite la douleur, on accompagne, on forme les personnels, on introduit des bénévoles. L’acquis des soins palliatifs est considérable : on ne pourra plus faire machine arrière. La réponse palliative à la question de la fin de vie est déjà bien traitée. En revanche, je crois nécessaire de dissocier la question de l’euthanasie de celle de la fin de vie. Dire que, sous prétexte que vous êtes en unité de soins palliatifs, vous n’aurez plus l’envie de demander l’euthanasie pour vous est faux. Ça n’a rien à voir. L’euthanasie est, selon moi, une question philosophique : chacun se confronte à son angoisse de mort et chacun a sa manière d’envisager la question de son départ, au-delà du débat sur la légalisation ou l’interdiction. Je suis personnellement contre l’euthanasie mais peut-être qu’à la fin de ma vie, je souhaiterais qu’on me donne la mort. Cependant, les soignants ne sont pas formés pour répondre à cette question existentielle. La mort n’est pas une réponse technique à une question philosophique. Il faut accepter qu’en médecine, il y ait des questions sans réponse. La revendication du droit à la mort est un des signes du temps qui est celui d’une volonté de maîtrise absolue. On ne veut pas prendre le risque de vivre sa vie jusqu’au bout.

* « D’un prétendu droit de mourir par humanité, L’euthanasie en question », Bernard-Marie Dupont, François Bourin Editeur, 2011, 22 euros.

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8891