LE QUOTIDIEN : Après plus de trois années de pandémie et la récente levée du statut d’urgence de santé publique de portée internationale, quel est le visage de l’épidémie de Covid-19 aujourd’hui ?
Pr DIDIER HOUSSIN : Selon le bulletin épidémiologique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui donne, chaque semaine, une vision globale de l’épidémie, que ce soit en termes de nombre de cas ou de décès, la situation s’est grandement améliorée depuis le mois de février, malgré des fluctuations régionales, comme dans les dernières semaines en Asie du Sud-Est, où un peu plus de cas ont été signalés.
Il y a bien sûr une incertitude liée à la diminution des signalements de certains pays, en raison d’une détection moins vigoureuse. Mais la mortalité recule très nettement. Les décès ont diminué de 95 % depuis janvier.
Cette évolution est due à l’immunité acquise par la population, que ce soit par la vaccination - avec une couverture très élevée dans les catégories de population les plus exposées - ou par les infections, mais aussi aux progrès dans la prise en charge des patients.
Quels sont les défis persistants face au Covid ?
Il faut d’abord comprendre que la levée du statut d’urgence de santé publique de portée internationale ne signifie pas que la pandémie est terminée et que le virus va cesser de circuler. Nous sommes encore face à de nombreuses incertitudes sur la saisonnalité, mais aussi, surtout, quant aux évolutions potentielles du virus.
Il y a donc tout intérêt à maintenir une vigilance et une surveillance et surtout à tirer les leçons de ce qui s’est passé pour se préparer à un variant qui redeviendrait très pathogène ou à l’émergence d’un autre virus.
L’objectif est de passer d’un statut piloté par l’urgence à un statut piloté par la préparation au risque pandémique. Cela se joue au niveau international avec le projet d’accord sur la préparation au risque pandémique et avec les amendements du Règlement sanitaire international, actuellement en discussion, mais aussi au niveau national. C’est une transition à ne pas rater. Le risque pandémique reste majeur, aux côtés de celui de la guerre et des famines. En seulement trois ans, cette pandémie a tout de même causé 20 millions de morts.
L'arrivée des vaccins a soulevé un débat mondial sur la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle. La communauté internationale a-t-elle progressé ?
Ces questions sont toujours là. Elles n’ont pas été réglées, même si des mécanismes d’atténuation ont été mis en place.
Les pays développés et leurs industries se sont lancés dans des développements coûteux et veulent pouvoir s’appuyer sur des brevets pour limiter le risque financier. C’est grâce à ce système que nous sommes parvenus à développer des vaccins en un temps si court. Les pays les plus pauvres n’ont pas cette capacité et veulent accéder à des vaccins à un prix raisonnable, voire nul. Entre les deux, des pays émergents (Inde, Afrique du Sud, Brésil, etc.), qui pendant longtemps ont contesté de nombreux brevets, veulent aujourd’hui protéger leurs industries naissantes.
Le mécanisme Covax a montré son efficacité, en permettant d’envoyer des doses dans de nombreux pays. Mais, tous les besoins n’ont pas été couverts et surtout, il a été constaté qu’une campagne vaccinale ne repose pas uniquement sur la disponibilité du vaccin. Il y a aussi toute une organisation à mettre en place, une logistique. C’est un sujet complexe.
La question ne pourra être résolue que par l’accentuation des phénomènes de solidarité, et à travers des accords de partenariat public–privé. Les industriels doivent intégrer dans leur coût pour les pays développés le fait qu’ils vont donner à bas prix des vaccins aux pays pauvres.
Un autre défi relève de la diffusion des « fake news » et du phénomène d’infodémie. Avez-vous perçu une prise de conscience de l’importance de la communication dans la gestion de crise ?
Je le pense, oui. Ce sujet est pris au sérieux, de manière scientifique. La mobilisation de l’OMS en témoigne. Ces phénomènes s’appuient sur les réseaux sociaux et trouvent parfois une résonance dans l’attitude de certains politiciens qui y voient un avantage politique. C’est une affaire qui n’est pas résolue du tout. Ces dérives sont toujours possibles.
À l’inverse, dans beaucoup de pays, les décisions prises ont été très largement appuyées sur la science et la raison. La grande majorité des gouvernements a mis en place une surveillance, a promu le port du masque et favorisé les campagnes de vaccination. Cette pandémie s’est traduite par un succès considérable de la science. Il ne faut pas être trop pessimiste. Il y a des dérives mais elles ne traduisent pas le comportement général de la population.
La population a-t-elle acquis des réflexes de santé publique ?
Je pense qu’il y a une prise de conscience. Il ne faut pas oublier que la population a accepté le confinement. Et qu’au final, l’adhésion à la vaccination a été très forte. Le nombre de professionnels de santé qui ont refusé de se faire vacciner reste marginal.
Pour certains comportements, comme le port du masque, c’est une question d’analyse de risque, qui évolue dans le temps. Les gens ont bien compris l’intérêt du masque, mais aujourd’hui, ils jugent le risque plus faible. Je suis convaincu qu’à l’automne prochain, si une épidémie de grippe sévère ou une résurgence du Covid se profile, on verra réapparaître le port du masque de manière plus systématique. C’est un changement qui va durer.
Sur l’origine de la pandémie, aura-t-on des certitudes un jour ?
C’est difficile à dire. Il y a toujours différentes hypothèses, la plus probable restant quand même celle d’une transmission à l’homme à partir d’un réservoir animal. Les circonstances de cette transmission ne sont pas claires, mais le marché de Wuhan a joué un rôle net d’amplification. L’hypothèse d’un accident de laboratoire n’est pas exclue, même si pour l’instant aucune démonstration ne l’étaye.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’OMS comme agence de l’Organisation des Nations unies (ONU) n’a que les pouvoirs conférés par des États membres très attachés à leur souveraineté. L’OMS n’a pas de pouvoirs d’inspection, ni de sanction. Si un État refuse une inspection d’un de ses laboratoires, elle est démunie.
Doter l’OMS de ces capacités de contrôle - comme c’est le cas en matière d’armements chimique ou nucléaire - et même de sanction, quand un pays ne suit pas les recommandations, serait une évolution souhaitable. Mais, il ne faut pas se faire d’illusions, le contexte géopolitique actuel n’est pas propice à ce genre d’évolution.
La réaction de l’Union européenne (UE) pendant et depuis la crise vous semble-t-elle suffisante pour répondre aux enjeux ?
L’Europe se construit à son rythme. Dans l’ensemble, elle va dans le bon sens. On peut regretter qu’une crise d’une telle ampleur soit nécessaire pour franchir des étapes supplémentaires. Il avait déjà fallu une pandémie en 2009 pour qu’une directive en 2013 permette les achats communs de vaccins. Cela a été mis en œuvre rapidement pour que les doses soient distribuées pendant la crise liée au Covid. C’est un énorme progrès.
Il nous manquait un équivalent du dispositif américain Barda pour la recherche et le développement de vaccins mais aussi pour certains aspects industriels comme le conditionnement par exemple. L’Europe dispose désormais d'HERA [autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, NDLR]. C’est un nouveau pas.
Sur d’autres aspects, comme la circulation des personnes, des mesures très différentes ont été adoptées sur le continent, pouvant donner l’impression d’une cacophonie. Quand une crise de cette nature survient, on gagnerait à avoir une Europe plus forte pour coordonner les mesures de sécurité sanitaire. Mais là encore, les États de l’UE tiennent jalousement à leur souveraineté.
Une question plus personnelle, comment avez-vous vécu cette période à la tête du Comité d’urgence de l’OMS ?
Ce fut un travail important, dans la durée. Le Comité fonctionnant au consensus, cela veut dire de nombreuses heures de discussion. C’est une lourde responsabilité aussi. Le Comité donne un avis important pour le directeur général de l’OMS, il détermine en partie la politique qui sera menée.
La période initiale a été très difficile. Lors des deux premières réunions (les 22 et 23 janvier 2020, NDLR), le Comité était très partagé sur l’analyse de la situation. Les réunions étaient difficiles, mais il nous fallait établir un consensus. Il a été décidé qu’il était prématuré de déclarer l’urgence de santé publique de portée mondiale, tout en insistant sur la nécessité d’une préparation active à une évolution de cet avis. Le 30 janvier, le consensus a été immédiat sur la nécessité de déclarer l’urgence.
Avez-vous ressenti des pressions au cours de cette période ?
Aucune. Ni Xi Jinping, ni Emmanuel Macron ou Donald Trump ne m’ont appelé.
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