Pour les 500 000 sans logis, estimés en France par le Haut Conseil à la Santé Publique (HCSP), qui vivent à la rue, en squats, campements, chambres d’hôtels ou foyers, la mise en œuvre du confinement a représenté un défi. « Le choc a été dramatique. Au début, il y a eu de la sidération », explique le Dr Patrick Bouffard, cardiologue et bénévole chez Médecins du Monde.
Les plus précaires étaient alors dans l’incapacité de respecter le confinement et ont été affectés par les difficultés d’accès à l’hygiène (notamment avec la fermeture des bains douches ou des toilettes publiques) ainsi que par la baisse d’activité de certaines structures (centres d’accueil de jour, maraudes, distributions alimentaires) confrontées à des effectifs réduits et travaillant sans matériel de protection.
Dès l'annonce du confinement
Dans l’urgence, pouvoirs publics et associations ont tenté d’organiser la protection et la mise à l’abri des personnes en grande précarité. « Des avancées ont été réalisées grâce aux initiatives engagées par l’État, avec le soutien du secteur associatif pour la mise en œuvre, témoigne Florent Guéguen, directeur de la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS), qui rassemble 850 associations. Cela démontre qu’il n’y a pas de fatalité : quand il y a une décision politique assortie de moyens, on peut réduire structurellement le nombre de personnes à la rue ».
Dès début mars, des fiches et des affiches détaillant les mesures barrières et les enjeux du confinement, traduites dans plusieurs langues, ont été apposées dans les structures et lieux d’accueil par les associations. « La plupart sont très au courant de la crise : le confinement s’applique naturellement et chacun fait du mieux qu’il peut, avec les moyens à disposition, pour respecter les mesures d’hygiène », souligne le Dr Patrick Bouffard.
Aux premiers jours du confinement, la mise à l’abri s’est organisée. Le prolongement au 31 mai de la trêve hivernale qui devait s’achever fin mars a été décrété, permettant de maintenir ouvertes les 14 000 places d’hébergement mises à disposition pour l’hiver, mais aussi d’éviter les expulsions locatives. Progressivement, des chambres d’hôtel ont été réquisitionnées et des centres dits de « desserrement », pour l’isolement et la prise en charge des malades du Covid-19, ont été ouverts. Au total, près de 10 000 places ont été mises à disposition et près de 90 centres ont été ouverts pour confiner et suivre les malades.
« Dans les grandes villes, des hébergements ont été trouvés pour les familles. Une partie de la demande a pu être endiguée », indique Florent Guéguen. Cet effort ne s’est pas traduit par une solution pour tous les publics concernés. « Il reste des populations à la rue. Ce sont souvent des hommes seuls et isolés, des grands marginaux très vulnérables, souffrant d’addictions, de troubles psychiatriques, usés par des années de rue et qui peuvent refuser les hébergements. Ils seraient 8 000 à Paris. Leur sort nous inquiète beaucoup », poursuit le directeur de la FAS.
Certaines solutions d’hébergements collectifs se sont par ailleurs révélées inadaptées. Le recours à des gymnases, par exemple, comme cela a pu être le cas en Île-de-France suite au démantèlement d’un campement à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a rapidement été proscrit par le Conseil scientifique qui accompagne le gouvernement dans la crise épidémique. L’hébergement en gymnase « ne se justifie en rien, affirmait-il dans son avis du 2 avril. Il présente au contraire un risque épidémique majeur tant pour les personnes rassemblées que pour l’ensemble de la population ».
Dans un avis diffusé fin avril, le HCSP exclut toute remise à la rue ou démantèlement de campements sans proposition d’une alternative et recommande également le « relogement d’urgence de tous ceux accueillis dans des hébergements collectifs », en « utilisant si besoin la réquisition ».
Pas de flambée épidémique
Malgré ces difficultés, « il n’y a pas eu de flambée de cas, comme on pouvait le craindre », souligne Florent Guéguen. Fin mars pourtant, plus de 1 000 contaminations avaient été identifiées dans les centres d’hébergements collectifs. Les associations constatent depuis une faible fréquentation dans les centres de prise en charge de malades. « Dans les régions les plus touchées, les taux d’occupation ne dépassent pas les 30 à 40 % de la capacité », observe Florent Guéguen.
Ce résultat est en partie attribué au travail des équipes sanitaires mobiles, mises en place en lien avec les ARS. « Elles ont permis de dépister rapidement les malades dans les structures d’hébergement et de les orienter vers les hôpitaux ou les centres de "desserrement" », ajoute le directeur de la FAS, qui plaide pour le maintien de ce rapprochement entre hébergement social et structure sanitaire. « Au-delà de la crise actuelle, certains de ces centres médicalisés, financés par l’ONDAM, doivent être conservés, car ils pourraient offrir une alternative aux hospitalisations longues de personnes précaires ».
Pour le HCSP, les équipes mobiles permettent d’adapter « le confinement pour des personnes en situation sanitaire fragile, en particulier psychiquement, pour lesquelles le confinement est particulièrement difficile ». Ces équipes mettent en œuvre une démarche « de l’"aller vers" face à des personnes qui ont renoncé aux soins et qui sont très frappées par le contexte », explique le Dr Bouffard.
D’autres conséquences sanitaires des mesures de confinement maintiennent en alerte les associations et les pouvoirs publics. Outre la persistance de nombreux bidonvilles, squats et hébergements inadaptés, ce sont les risques de non-prise en charge médicale de maladies autres que le Covid-19 ou de rupture de soins en cas de maladies chroniques qui inquiètent.
Des PASS au ralenti
« Dans certains établissements, les professionnels des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) ont été réquisitionnés pour assurer d’autres activités », constate le HCSP, insistant sur la vulnérabilité face à l’épidémie elle-même, mais aussi face à ses conséquences sociales pour des publics avec une prévalence élevée de comorbidités et de fragilités somatiques et mentales préexistantes.
« D’un point de vue médical, comment peut-on imaginer soigner à la rue ? Interroge le bénévole de Médecins du Monde. La crise rappelle durement la nécessité de solutions pérennes. Pour soigner, il faut a minima une mise à l’abri ». Les conclusions du HCSP sont similaires : la crise « montre bien les limites actuelles de l’intervention du secteur médico-social et social et que la promotion du "logement d’abord" doit être renforcée », insiste-t-il.
Le HCSP en appelle aussi à répondre aux besoins élémentaires (accès à l’eau et aide alimentaire), mais aussi à la mise à disposition de protections pour les intervenants et au renforcement des PASS et des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP). Il encourage aussi la réalisation des tests de diagnostic virologique pour les publics précaires. Du côté des associations, l’urgence est à la pérennisation jusqu’à la fin de l’année des efforts déployés.
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