Le temps des explications est venu pour Agnès Buzyn. Après plus de deux ans de silence, l’ex-ministre de la Santé donne sa version des faits sur la gestion de l’épidémie de Covid lorsqu’elle était aux manettes, avenue de Ségur. Ses confidences ont été reprises par « Le Monde », qui a eu connaissance du journal écrit par la médecin, et dans lequel elle retrace rétrospectivement les évènements des premiers mois de la crise sanitaire.
« On m’a fait passer pour une idiote qui n’a rien vu, alors que c’est l’inverse, confie-t-elle au quotidien national. Non seulement j’avais vu mais prévenu. J’ai été, de très loin en Europe, la ministre la plus alerte. Mais tout le monde s’en foutait. Les gens m’expliquaient que ce virus était une “grippette” et que je perdais mes nerfs. »
Cette sortie médiatique intervient alors qu’Agnès Buzyn est toujours mise en examen par la Cour de justice de la République pour « mise en danger de la vie d’autrui » pour sa gestion de l’épidémie. L’ancien premier ministre Édouard Philippe a lui été placé sous le statut de témoin assisté, échappant à la mise en examen.
« Je n’avais pas l’impression d’être entendue »
Dans ce document de plus de 600 pages, l’ex-ministre assure avoir alerté à plusieurs reprises Édouard Philippe et Emmanuel Macron. À partir de la mi-janvier, elle leur fait part de ses inquiétudes sur l’évolution de l’épidémie. « Je n’avais pas l’impression d’être entendue », raconte Agnès Buzyn au « Monde ». « À l’époque, ils sont comme le reste de la population et des experts français, personne n’arrive à concevoir la gravité de ce qui vient », dit-elle en assurant toutefois que le Premier ministre « n’a rien négligé ».
Fin janvier, la menace épidémique monte d’un cran alors que le premier cas de Covid est enregistré en France et que la ville de Wuhan entre en confinement. Agnès Buzyn insiste pour faire un point de situation auprès d’Emmanuel Macron, puis d’Édouard Philippe. En vain. Le 30 janvier, elle met en garde le Premier ministre sur les risques d’organiser le scrutin municipal au vu de l’augmentation du nombre de cas en Chine. « Il faut se mettre en mode combat », lui dit-elle.
« Je n’arrivais pas à avoir un rendez-vous »
Elle se démène pour avoir un tête-à-tête avec Emmanuel Macron afin de lui faire part de ses inquiétudes. « Je n’arrivais pas à avoir un rendez-vous », regrette-t-elle. Elle finira par décrocher un entretien téléphonique le 8 février. Elle déroule au président les conséquences attendues de l’épidémie et elle envisage déjà un confinement pour enrayer l’épidémie. « Mais qu’est-ce que tu as dit au président l’autre soir ? Tu as réussi à lui faire peur ! », lui reprochera le secrétaire général de l’Élysée au Conseil des ministres suivant. « Heureusement que je lui ai fait peur ! », répond Agnès Buzyn.
S’ensuit le calvaire des municipales. Contre sa volonté, dit-elle, Agnès Buzyn se présente à la mairie de Paris. « Je n’aurais jamais dû partir. À la santé, j’étais à ma place. Là, on me poussait au mauvais endroit au mauvais moment », regrette la médecin.
Tout au long de la campagne, elle poursuit ses mises en garde envers l’exécutif. Le 29 février, elle s’entretient avec le président : « On perd du temps sur l’épidémie », lui dit-elle en l’incitant à monter une « task force dédiée ». « Il faut préparer les hôpitaux, l’opinion publique, le pays n’est pas prêt », s’alarme-t-elle. Le 10 mars, elle exhorte le Premier ministre à annuler l’élection qui doit commencer une semaine plus tard. Elle renouvelle sa recommandation au lendemain du premier tour, qualifiant les élections de « mascarade », évoquant le « tsunami » épidémique à venir.
« Je parlais dans le vide »
Elle écrira une nouvelle fois au Premier ministre : « Édouard, vous êtes en dehors de la plaque, et si tu as encore confiance en moi, prenez une décision de confinement car nous avons quinze jours de retard. Et je ne perds pas mes nerfs, je suis lucide depuis des semaines et, derrière vos décisions, ce sont des gens qui vont mourir. »
Mais plus personne n’entend l’ex-ministre. « Pendant toute la campagne, j’ai continué d’envoyer des textos, d’alerter, mais j’ai senti que je ne pesais plus rien et que je parlais dans le vide. Je n’étais plus aux affaires et on me le faisait sentir », dit-elle au « Monde ».
« Bien sûr, c’est facile de dire après “j’avais tout vu”. Ce qui est certain, c’est que j’avais un pressentiment, et tout le monde me disait que j’étais folle. J’ai fait le maximum de ce qu’il était possible de faire à cette période-là », se justifie Agnès Buzyn aujourd'hui membre de la Cour des comptes, après un temps passé à l'OMS.
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