CONTRIBUTION - En se basant sur l’analyse de la littérature internationale et sur leurs compétences respectives les auteurs de ces lignes avaient tenté d’alerter dès le mois de mars sur l’évidence d’une transmission par l’air – dite aéroportée ou « airborne » en anglais - du coronavirus. Avec de très grandes difficultés, sinon une impossibilité, à faire passer des articles sur le sujet dans la grande presse : le déni était partout
De façon caricaturale les autorités françaises ont longtemps nié l’importance de cette voie de transmission et du coup dénigré l’avantage décisif du port du masque pour tous, suivant en cela la ligne malheureuse de l’OMS.
L’une des scientifiques que nous avons contactée au cours des derniers mois, et des plus en pointe sur le sujet, Lidia Morawska, vient de faire passer début juillet, avec son collègue Donald Milton, un article dans le Clinical Infectious Diseases, validée par 239 scientifiques, sur l’importance et l’évidence de la voie aéroportée dans l’extension de l’épidémie [1]. Du coup les médias (dont le New York Time) et l’OMS semblent enfin s’éveiller à l’idée que la transmission par l’air puisse jouer un rôle important dans le développement de l’épidémie.
Un air vicié du point de vue viral
En principe, la transmission aéroportée peut survenir aussi bien à l’intérieur des locaux qu’à l’extérieur à l’air libre. Cependant elle est de nature très différente dans les deux cas.
En extérieur, la transmission sera une transmission de « croisement ». Autrement dit, il faut avoir croisé et approché effectivement la personne infectée. Les conditions atmosphériques dont le vent, la turbulence etc. vont jouer un rôle important. Très rapidement, les particules infectantes vont être diluées de telle façon que la dose minimale infectante (MID pour Minimum Infective Dose en anglais) sera difficilement atteinte et seulement en cas de présence de la personne (ou des personnes) infectée(s) [2]. Il existe une littérature très abondante sur la dispersion de polluants dans l’atmosphère à partir de points source qui devrait permettre une modélisation actuellement inexistante compte tenu de la doctrine (les fameux 1 m).
À l’intérieur des locaux, les systèmes CVC (Chauffage, Ventilation, Climatisation, HVAC en anglais pour « Heating, Ventilation, Climatisation ») jouent très certainement un rôle clé. Pour des raisons d’économie d’énergie une partie majoritaire de l’air va recirculer, aboutissant à un air « vicié » du point de vue viral même si du point de vue des normes pour autres polluants il est considéré comme de bonne qualité. Le résultat net est que vous pouvez être infecté à l’intérieur des locaux sans jamais avoir croisé la personne infectée. De ce point de vue, outre les questions éthiques qu’elle soulève [3] une application comme « stop-covid » ne réglera en rien la question.
Question de dose et de flux
De plus, pour de nombreux phénomènes biologiques, la notion de dose est fondamentale, c’est-à-dire le produit du flux par le temps d’exposition. Une exposition à un flux faible sur un temps long (air intérieur) pourrait être plus nocive qu’une exposition à un flux plus importante sur un temps très court (croisement effectif d’une personne infectée à l’extérieur) car conduisant à une dose bien supérieure à la MID [2,4].
L’observation de ce qui se passe et s’est passé à travers le monde fournit une forte présomption dans le sens de la prééminence de la voie de contamination intérieure ! Notons d’abord que le pendant du chauffage aérotherme en hiver dans des pays tempérés comme la France est la climatisation dans des pays ou des périodes très chaudes sévissent une partie de l’année. Et pour des raisons climatiques évidentes la prévalence de la climatisation est très faible dans des pays comme la France. Or que notons-nous ?
Sous nos latitudes, en particulier en France, l’épidémie a presque complètement cessé avec l’arrivée des beaux jours. L’épidémie n’a finalement pas flambé en Afrique malgré les avertissements de l’OMS ; or la prévalence de la climatisation pour refroidir les locaux intérieurs est directement liée au PIB par habitant. Le monde assiste ainsi, effaré et avec incompréhension, au fait que l’Afrique subsaharienne, le continent le plus pauvre de la planète, soit finalement si peu touchée : pour une fois, la pauvreté et le non-accès à l’électricité protègent d’un fléau.
Etonnantes corrélations
De notre point de vue, la prévalence de la climatisation explique que l’épidémie se soit ainsi développée de façon importante dans des pays de même latitude que l’Afrique, comme le Brésil. Outre le Brésil, on peut constater que l’épidémie a flambé dans des régions très chaudes, comme le sud des États-Unis où la clim est omniprésente et que de nouveaux foyers de contamination sont apparus à Pékin (très climatisé), en Espagne, dans les abattoirs (ou la climatisation en dessous de 12 °C est obligatoire), dans une conserverie de poisson (idem) au Maroc etc. Aux USA, San Francisco qui jouit d’un climat naturellement « climatisé » est relativement peu touché.
Corrélation n’est pas causalité, mais ces observations viennent conforter très fortement ce que clament de nombreux scientifiques, Lidia Morawska et Donald Milton en tête : la contamination aéroportée est une voie de transmission très importante mais elle se fait essentiellement en espace intérieur (« indoor »).
Et de ce fait nous pouvons prévoir le risque de rebond avec le retour des mauvais jours, du chauffage et d’une vie « indoor » avec ventilation insuffisante est loin d’être négligeable pour un pays comme la France. Il faut réaliser que la saisonnalité possible de ce virus n’est pas une question d’astrologie ! Les explications doivent se trouver dans la science.
Eviter un nouveau désastre
Nous scientifiques qui avons sonné le tocsin bien avant les autres [5] déplorons le fait de ne pas avoir été écouté, en particulier sur le port du masque, et pensons au millier de morts probablement liés au déni des autorités et des médias. Mais pour nous le temps n’est pas au règlement de compte, il nous faut regarder devant et tenter d’éviter un nouveau désastre !
Dans leur article, Lidia Morawska et Donald Milton donnent des recommandations générales que l’on peut traduire par : augmenter la ventilation des locaux depuis l’air extérieur, purifier et stériliser (utilisation de lampes ultraviolettes) l’air des locaux. Bien évidemment ces recommandations ne doivent pas exclure les autres précautions dont le port du masque et son obligation annoncée en lieux publics clos va dans le bon sens.
À court terme, augmenter la ventilation, en particulier naturelle par l’ouverture de portes et fenêtre, est une mesure extrêmement simple à mettre en œuvre mais en saison froide elle a évidemment un coût en terme soit énergétique soit de confort thermique. Il existe déjà des normes, en particulier de l’INRS, en matière de renouvellement de l’air dans les locaux industriels et commerciaux mais elles sont très certainement insuffisantes par rapport à un « polluant » de type viral dont une dose infime suffit à déclencher la maladie (les polluants physico-chimiques ordinaires ne se multiplient pas dans l’organisme contrairement au coronavirus).
Filtres ou techniques de stérilisation
Le taux de renouvellement doit donc immédiatement être revu à la hausse et rendu obligatoire ! Si l’on veut maintenir un confort thermique équivalent à l’existant ceci aura un coût énergétique mais nous avons le choix entre les deux : après tout, les marchés en extérieur fonctionnent même en hiver sous notre climat. Et en été le principe de précaution doit conduire à renoncer à la clim et à un certain confort thermique chaque fois que cela est possible dans les espaces clos collectifs.
À moyen terme, purifier et stériliser l’air intérieur est évidemment la solution qui permettra de retrouver la sécurité des locaux intérieurs en gardant le bénéfice et du confort thermique et des économies d’énergie. Il faudra développer des dispositifs capables de traiter avec un très faible coût énergétique de très grands flux d’air (des milliers et dizaines de milliers de m3/h) : ceci n’est pas un problème évident du point de vue thermodynamique et mécanique des fluides ! Il existe des filtres à haute efficacité (HEPA) mais leur mise en œuvre a un coût énergétique et financier (entretien, remplacement) qui rendra difficile leur généralisation. Il serait donc souhaitable de développer les techniques de stérilisation efficaces et économiquement viables.
1- Lidia Morawska et Donald Milton, july 6th 2020, «It is Time to Address Airborne Transmission of COVID-19», Clinical Infectious Diseases, ciaa939, https://doi.org/10.1093/cid/ciaa939
2- M Saber Yezli et Jonathan A. Otter, «Minimum Infective Dose of the Major Human Respiratory and Enteric Viruses Transmitted Through Food and the Environment, Food Environ Virol» (2011) 3:1–30
3- Frantz Rowe, 30th June 2020, «Contact tracing apps and values dilemmas: A privacy paradox in a neo-liberal world», International Journal of Information Management, accepted for publication 20 june, online 30 june, https://doi.org/10.1016/j.ijinfomgt.2020.102178
4- Carl Heneghan, Jon Brassey, Tom Jefferson: «SARS-CoV-2 viral load and the severity of COVID-19», CEBM, 26th march 20. https://www.cebm.net/covid-19/sars-cov-2-viral-load-and-the-severity-of…
5- https://www.lejournaldumedecin.com/actualite/transmission-de-covid-19-p…
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