DEPUIS environ une décennie, l’évolution des données de surveillance épidémiologique atteste, au Nord comme au Sud, d’une féminisation de l’épidémie. En Afrique, les femmes sont largement majoritaires, leur proportion s’étant stabilisée autour de 60 %. Leur vulnérabilité face à l’infection, du fait de facteurs biologiques et sociaux, a été largement décrite. Toutefois, des connaissances plus précises seraient nécessaires pour mieux comprendre la situation des femmes, une fois qu’elles ont été prises en charge par les systèmes de soins.
Selon Alice Desclaux, Philippe Msellati et Khoudia Sow, une nouvelle approche de la question semble indispensable afin « de dépasser le constat d’inégalités de statut entre hommes et femmes, liées à une domination masculine ubiquitaire et provoquant une vulnérabilité féminine globale », écrivent-ils en l’introduction de l’ouvrage « les Femmes à l’épreuve du VIH dans les pays du sud. Genre et accès universel à la prise en charge ». Les travaux qui y sont présentés apportent des éléments dans ce sens. Ils concernent pour la plupart les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre francophones (Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Sénégal, Cameroun). Ils confirment que les femmes ont un usage différent de celui des hommes des services proposés aux personnes vivant avec le VIH et, qu’à certains égards, elles en tirent davantage profit. Contrairement à ce qui était attendu, les femmes ont accès plus tôt que les hommes et en plus grand nombre aux traitements antirétroviraux, acceptent davantage le dépistage et ont une meilleure observance à long terme. Ces éléments dessinent « les contours d’une vulnérabilité masculine », soulignent A. Desclaux et col. « Celle-ci résulte de services de soins globalement peu amicaux pour les hommes, eux-mêmes peu aptes à s’y insérer, que les tentatives d’implication dans la prévention de la transmission mère-enfant dépeignent comme réticents face à des services de soins faits pour accueillir des femmes, ou à des programmes qui les rendent dépendants de leur partenaire féminine. »
Mauvais patients, bonnes patientes.
Au Cameroun, l’étude de Sophie Djetcha montre par exemple que les hommes cachent plus souvent leur traitement que les femmes et ont plus de réticences à en parler, y compris avec les soignants, et que ces derniers ont parfois à leurs égards des représentations stéréotypées de « mauvais patients », alors que les femmes sont vues comme des « bonnes patientes ».
Les travaux montrent aussi que, dans les couples, les rapports hommes-femmes se sont modifiés. Sandrine Loubière et col. décrivent, toujours au Cameroun, comment l’accès des femmes au traitement peut lever les obstacles à la communication conjugale sur le VIH. Le taux de révélation au conjoint est beaucoup plus élevé que dans les études antérieures.
Ces quelques résultats montrent qu’après l’invisibilité des années 1980, la vulnérabilité érigée comme principe d’action dans les années 1990 ne suffit plus à décrire la dynamique des rapports sociaux en jeu dans la matière de prévention et de traitement. La contribution de Sandrine Musso, anthropologue au centre Norbert Elias (Marseille), apporte un éclairage particulier sur l’épidémie au Nord, où la maladie a été « pensée essentiellement masculine ». En France, « les femmes séropositives ont été durablement invisibles », souligne-t-elle. « Une double invisibilité », précise même la chercheuse, liée à leur séropositivité et à leur condition d’étrangères et/ou de migrantes. « Car elles ont aussi fait les frais du traitement social réservé en France au "sida des immigrés", indicible jusqu’à la fin des années 1990 », poursuit-elle. Il aura fallu attendre 2001 pour que les politiques publiques de lutte contre le VIH décident de promouvoir « la visibilité des migrants dans les campagnes grand public ». Mais cette visibilité se heurte à de nombreuses difficultés sociales (« criminalisation de l’immigration ») ou au stéréotype qui réduit les femmes africaines à leur condition de femmes enceintes et de mères, ce qui conduit à une sous-estimation des autres dimensions de la maladie et des autres sphères de leur existence. De plus, derrière cette nouvelle visibilité se cachent « ceux qu’on ne voit pas : d’une part les hommes migrants, d’autre part les autres femmes migrantes ; et enfin les femmes françaises non migrantes. À partir de 2003, le nombre des nouvelles contaminations recensées chez les femmes africaines tend à diminuer alors qu’il demeure stable chez les femmes nationalité française. »
* « Les Femmes à l’épreuve du VIH. Genre et accès universel à la prise en charge », Éd. ANRS, col. Sciences sociales et sida, février 2011, 256 pages, gratuit. Disponible sur le site www.anrs.fr ou par mail à information@anrs.fr.
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