La responsabilité du médecin généraliste est en principe une responsabilité pour faute prouvée : le demandeur doit prouver la faute du médecin et le lien de causalité avec le préjudice. Sans remettre en cause ce principe, plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation témoignent cependant d’une particulière sévérité, admettant facilement l’existence d’une faute du médecin et le rôle causal de celle-ci dans le dommage subi par le patient. La portée de ces décisions est incertaine : annoncent-elles une évolution de fond ou bien sont-elles simplement le fruit de circonstances particulières ?
Le doute ne profite pas au médecin
Claire X est décédée des suites d’une grippe maligne avec syndrome de détresse respiratoire aiguë. L’expert considère que le Dr Y aurait dû prescrire plus tôt l’hospitalisation de la patiente afin de pratiquer des examens complémentaires, mais il relève qu’« il est extrêmement difficile de dire si l’évolution eut été différente en cas d’hospitalisation plus rapide ». La Cour d’appel avait écarté la responsabilité du Dr Y, au motif qu’il n’est pas certain qu’une hospitalisation plus rapide aurait évité le décès. L’arrêt est censuré. La Cour de cassation décide que, en ne procédant pas à l’hospitalisation suffisamment tôt, le Dr Y a commis une faute qui a fait perdre à celle-ci une chance de survie.
Cette décision paraît bien sévère. La faute reprochée au Dr Y est de n’avoir pas sollicité l’hospitalisation de la patiente suffisamment tôt : il est facile de formuler une telle critique a posteriori, lorsque « la fin de l’histoire » est connue. De plus, et surtout, le lien de causalité entre la faute imputée au Dr Y et le décès de la patiente paraît bien douteux. Le recours à la notion de perte de chance permet, comme souvent en matière médicale, de pallier l’incertitude du lien de causalité entre la faute et le dommage. Cette décision montre, une fois de plus, que le doute ne profite pas au médecin, mais au patient…
Erreur de diagnostic ou dépassement de compétences ?
Un enfant qui avait subi un traumatisme du bras consécutif à une chute de vélo a été conduit par ses parents aux urgences de la clinique Sainte-Thérèse, à Sète le 11 mars 2000. Des radiologies ont été réalisées et le Dr C, médecin généraliste qui assurait la permanence aux urgences, ne diagnostique qu’une simple fracture du cubitus droit. Il prodigue alors des soins conformes aux règles de l’art pour ce type de fracture et l’enfant repart avec ses parents. Mais l’histoire n’est pas terminée !
En réalité l’enfant présente une « fracture de Monteggia », associant une fracture cubitale à une luxation de la tête radiale. Les parents ont recherché la responsabilité du médecin, au motif que l’erreur de diagnostic a été à l’origine d’un traitement inadapté et a retardé la prise en charge de la blessure. Dans cette affaire, deux rapports d’expertise ont abouti à des conclusions divergentes (comme c’est souvent le cas…). Le premier a considéré que le Dr C, en sa qualité de médecin responsable des urgences, aurait dû diagnostiquer la fracture de Monteggia. Le second a quant à lui estimé que l’on ne pouvait reprocher au Dr C, médecin généraliste qui n’avait pas la qualité de médecin urgentiste, de ne pas avoir diagnostiqué ce type de fracture (il souligne que lui-même a dû faire appel à un spécialiste en orthopédie et traumatologie pédiatrique pour diagnostiquer ce type de fracture).
La Cour d’appel de Montpellier avait écarté la responsabilité du Dr C au motif que, n’ayant pas la qualité de médecin urgentiste, celui-ci ne peut se voir reprocher de n’avoir pas diagnostiqué une fracture de Monteggia. Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 70 du Code de déontologie qui interdit aux médecins d’entreprendre des soins qui dépassent les limites de leurs compétences. « En se fondant sur la circonstance que le Dr C, médecin généraliste, n’avait pas la qualité de médecin urgentiste pour l’exonérer de sa responsabilité quand il est fait déontologiquement obligation à tout praticien de s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, d’entreprendre ou de poursuivre des soins, ou de formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose, la Cour d’appel a violé les textes susvisés », relève la Cour de cassation qui casse l’arrêt d’appel et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Montpellier.
Comment comprendre cette décision ? Deux interprétations sont possibles. Suivant une première interprétation, la Cour de cassation juge que le Dr C, médecin généraliste qui assurait une permanence aux urgences, a commis une faute car il aurait dû s’abstenir de prodiguer des soins dépassant ses compétences. Ainsi interprétée, la décision paraît très critiquable et elle serait de nature à susciter l’inquiétude de la profession : ne faut-il pas craindre que toute erreur de diagnostic commise par un médecin généraliste soit systématiquement sanctionnée comme un dépassement de compétence ?
Une autre interprétation est cependant possible, qui confère à cet arrêt une portée beaucoup plus mesurée. La Cour de cassation ne dit pas que le Dr C a outrepassé ses compétences ; elle décide simplement que la décision de la Cour d’appel, qui écarte la responsabilité du Dr C au seul motif qu’il n’a pas la qualité d’urgentiste, n’est pas convenablement motivée. Suivant cette analyse, l’arrêt de la Cour de cassation opère ce que l’on appelle une « cassation disciplinaire » : elle ne censure pas la solution retenue par les juges du fond, mais la motivation sur laquelle ils se fondent. La conséquence d’une telle cassation disciplinaire étant que la juridiction de renvoi peut parfaitement prendre la même solution que la décision censurée, mais en modifiant la motivation. Pour notre part, nous considérons que c’est la seconde interprétation qui doit être retenue. On ne saurait reprocher au Dr C un dépassement de compétences. En sa qualité de médecin généraliste, il avait parfaitement le droit d’exercer aux urgences sans être titulaire de la CAMU (seul diplôme spécifique à la fonction d’urgentiste à l’époque). Devant la Cour d’appel de renvoi, on conseillera donc au Dr C de montrer qu’il n’a pas commis un dépassement de compétences, mais une simple erreur de diagnostic. Si cette analyse est admise, le débat portera alors sur le caractère fautif ou non de cette erreur.
Torts partagés
La question du partage des responsabilités entre le médecin et le pharmacien est une nouvelle fois posée dans une affaire tragique. Le médecin avait prescrit la Catalgine à 0,10 gr pour un bébé de 6 semaines atteint d’une infection bactérienne. Le pharmacien a délivré par erreur le médicament dosé à 0,50 gr ce qui a provoqué une intoxication alimentaire chez le nourrisson. La Cour d’appel de Montpellier a condamné le médecin et le pharmacien à indemniser le préjudice, et a réparti entre eux la charge de la réparation finale à hauteur 40 % pour le médecin et de 60 % pour le pharmacien. La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi, cette décision est désormais définitive.
Cette décision est-elle véritablement équitable ? Pour retenir la responsabilité du médecin, les juges ont considéré que celui-ci avait commis deux fautes. Faute dans le choix du médicament, d’abord : selon le rapport d’expertise, la Catalgine n’était plus depuis plusieurs années au moment des faits le médicament antithermique de référence chez le nourrisson et d’autres principes actifs offraient la même efficacité en présentant moins d’inconvénients. Mais cette faute ne paraît cependant pas si évidente car certains experts considèrent que la Catalgine à 0,10 g peut toujours être prescrite pour les nourrissons. Faute dans la rédaction de l’ordonnance, ensuite : le médecin avait omis d’indiquer l’age et le poids du nourrisson. Cette faute seconde faute semble avérée, mais elle n’est pas la cause directe du dommage, lequel résulte plutôt de la faute du pharmacien. La répartition des responsabilités qui est décidée par les juges paraît bien sévère pour le médecin.
Quelques décisions particulièrement sévères
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