Un collègue bien attentionné m’a envoyé sur mon téléphone la vidéo d’un confrère néphrologue à Strasbourg. Ce dernier richement paré de tatouages sur les bras, et ayant sciemment choisi un studio avec quelques instruments de musique (volonté de se mettre à la portée du Français moyen ?), a souhaité donner ses impressions sur la pratique du médecin généraliste libéral en 2025.
La vidéo intitulée « Que faire des médecins généralistes ? » permet dans un premier temps d’énoncer pour ce cher collègue, et sur un ton assez péremptoire « une vérité » : il ne souhaitait en aucune manière contribuer à la suppression des médecins généralistes. Durant son monologue, il a développé certaines études réalisées dans les années 2000 qui mettaient en avant le fait que les infirmières étaient très utiles dans le système de santé en s’acquittant de certaines tâches médicales (cas du renouvellement de traitement par exemple).
Deux exemples nord-américains
Il a pris par ailleurs l’exemple de deux pays : les États-Unis et le Canada. Ces deux pays ont une grande facilité à déléguer de nombreux actes, considérés comme étant du rôle des médecins en France, aux autres professionnels de santé. Cette manière de travailler ne présente, selon lui, aucun risque sur la santé des patients qui sont suivis de manière tout aussi correcte qu’avec leur généraliste.
D’ailleurs notre gentil néphrologue (j’aime la jeunesse) nous le prouve avec certaines études qu’il nous donne (on le remercie par la qualité de ses remarques qu’il cherche avec un léger stress sur son téléphone).
De toute manière, il nous a mis en avant le fait que les consultations de renouvellement de traitement ne nécessitent pas une expertise démesurée, mais les généralistes restent très attachés à ces consultations « faciles » car elles permettent à ces confrères d’engranger rapidement 30 euros sans se casser la tête.
Une réalité qui n’est pas tout à fait superposable
Tout d’abord ce collègue qui travaille en milieu hospitalier oublie que le médecin généraliste ne bénéficie pas de prélèvement à la source. Ainsi lorsqu’il est payé 30 euros, il n’en gagne réellement que la moitié.
De plus, et contrairement aux idées formatées par notre charmant néphrologue, le médecin généraliste doit faire face à des dépenses non négligeables (frais de secrétariat, de maintenance de logiciel, location de cabinet…) qui imposent souvent un travail de stakhanoviste. Si le médecin généraliste ne prend en charge que les cas complexes, il aura des difficultés à boucler ses fins de mois.
Cher confrère, nous ne sommes pas des nantis comme vous pourriez le penser, mais nous souhaitons une juste rétribution de notre travail
Cher confrère, nous ne sommes pas des nantis comme vous pourriez le penser, mais nous souhaitons une juste rétribution de notre travail. Il faut que ce collègue sache que les centres régionaux ou municipaux de santé sont déficitaires, et ne doivent leur survie que grâce à des dotations financières de la part des organismes départementaux ou régionaux. La semaine dernière au décours d’un renouvellement de traitement pour l’HTA d’un patient, j’ai mis en évidence une fibrillation atriale de manière fortuite. Renouveler un traitement ne veut pas dire prendre la carte vitale, et rédiger une ordonnance sans prendre en compte le patient. La plupart des médecins examinent les patients à chaque renouvellement de traitement, et évitent comme dans mon cas de sérieuses complications !
Ce qui me fait quelque peu sourire, et faisant suite aux propos de notre collègue, c’est de voir que les patients hémodialysés nous appellent régulièrement à leur retour pour régler des problèmes - certains maux parfois complexes qui n’ont pas été pris en compte par les équipes de soins (le plus souvent il n’y a pas de néphrologue).
Par ailleurs, la délégation des tâches existe déjà dans les campagnes avec un travail collaboratif avec les infirmières qui ne se tournent pas les pouces, je peux vous le dire. En ce qui concerne mon cabinet, nous nous mettons en liaison très régulièrement avec les infirmières du secteur. Elles, ou ils (nous ne devons pas oublier que des hommes embrassent également cette profession), partagent les problèmes des patients, et nous essayons de trouver des solutions en commun.
En ce qui concerne la prise en charge des patients en soins palliatifs elle est effectuée en équipe, et grâce au concours des infirmiers mais aussi les aides-soignants (on n’en parle pas assez), il est possible d’élaborer un plan de soins de qualité. Nous n’avons pas attendu des mesures gouvernementales irritantes car elles sont plus une imposition qu’autre chose, pour travailler la main dans la main avec les autres professionnels de santé.
Ce qui provoque l’irritation des médecins, c’est avant tout d’exiger une collaboration sur un mode défini par les pouvoirs publics avec des infirmières, cela sans avoir demandé aux généralistes de quelle façon ils souhaitaient travailler.
Enfin il est difficile de faire une comparaison entre des systèmes de soins différents. Aux États-Unis, pour consulter un médecin, il est nécessaire de faire des sacrifices au plan financier (il n’y a pas de réelle pénurie, mais une discrimination par l’argent qui réduit le nombre de consultants), ce qui conduit de nombreux patients avec peu de moyens à se tourner vers les infirmières. Au Canada, la réglementation concernant les délégations de tâches est très encadrée avec des formations imposées régulièrement (en France cette obligation n’a jamais été véritablement actée), et elles varient en fonction des provinces.
Ce qui me désole grandement, c’est de voir que notre collègue se permet de donner son point de vue, et le partage avec des internautes béotiens pour la plupart, sur une profession qu’il ne connaît pas vraiment. Il est sûr qu’en étant niché dans les mamelles des CHU ou des CH, il est facile d’avoir une vision quelque peu étriquée sur la médecine libérale. Aussi pour prendre de la hauteur, j’invite mon collègue à venir dans mon cabinet en observateur.
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