Jean-Claude, grand anxieux malingre, consultait peu. Il venait pour quelques gouttes de psychotrope qui lui apportaient du réconfort. Il refusait toute prise en charge par ailleurs, jusqu’au jour où il vient accompagné de Marguerite son épouse, suivie pour dépression par un confrère. Elle avait tout assumé jusque-là mais était arrivée au bout de ses forces.
L'état de Jean Claude est inquiétant. Je suspecte un cancer digestif évolué et des fonctions cognitives dégradées. « Je n’ai rien et je vivrais jusqu'à 100 ans » clame Jean-Claude avec force et conviction.
« Il faudra accepter un peu d’aide des médecins cette fois pour y arriver ». Jean Claude cède devant notre insistance et subit une intervention chirurgicale, précédée d'un bilan cognitif qui confirme une dégradation sévère. Suivra une chimiothérapie mal supportée. Marguerite fera face à tout pendant ces longs mois car Jean Claude ne veut qu’elle. Je suis le couple régulièrement tentant d’apaiser les troubles du comportement de plus en plus sévères de Jean-Claude avec l’aide des psychogériatres qu’il rechigne à rencontrer.
Marguerite s'essouffle malgré tout et remet toujours à plus tard un placement. Jean-Claude refuse énergiquement de se rendre à l’accueil de jour. Marguerite se résigne, encouragée par leur fille unique, à supporter son mari jusqu’au bout.
Marguerite est seule ce matin, en pleurs :
- « Mon mari est mort du Covid… Il sera enterré cet après-midi. C’est dur mais je suis soulagée. Il a tellement souffert pendant 6 semaines à l'hôpital ; ils lui ont tout fait : une sonde urinaire, une fibroscopie, une sonde pour aspirer les sécrétions bronchiques. Il a crié. Alors ils l’ont attaché. Ils ont donné des antibiotiques, de la cortisone, des perfusions. Je n’y suis plus allé. Je ne supportais plus. Mais notre fille a insisté : "papa papa reste avec nous". Alors bien sûr ils ont continué. »
À l’heure où les hôpitaux publics croulent sous la vague de Covid et manifestent contre leur mort lente, à l’heure où les maltraitances et les pénuries de moyens dans les Ehpad font la une des journaux, à l'heure où l'on glorifie et récompense les médecins qui affichent zéro mort dans leur Ephad, je m’interroge : notre mission de soignants est-elle de défier la mort ou de diminuer les souffrances humaines ?
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr .
Exergue : L'état de grand anxieux malingre est inquiétant. Je suspecte un cancer digestif évolué et des fonctions cognitives dégradées.
Il est parfois utile de prendre de la hauteur avant de parler des médecins généralistes
La coûteuse organisation de la santé paralyse les soins
Régulation de l’installation : une fausse bonne idée
Aptitude physique