L’émission Cash Investigation (cf. « Tollé des syndicats contre le réquisitoire de Cash Investigation contre la liberté d'installation », lequotidiendumedecin.fr 11/01/2022) a suscité avec raison un tollé général dans la profession. Faire passer les médecins libéraux pour des lobbyistes responsables de la désertification médicale, uniquement demandeurs de contributions financières de l’Etat sans contrepartie, des nantis installés en nombre dans les villes au détriment des campagnes, était une désinformation insoutenable et ridiculement filmée, sur un sujet pourtant si important. J’ai trouvé le Dr Hamon bien timide pour répondre. Et le Dr Marty n’a pas été convié...
Elise Lucet est payée par nos contributions fiscales pour l’audiovisuel. Avec une obligation d'informer et non de désinfomer ! Combien de personnel pour l’aider dans son travail ? Dans quel désert culturel va-t-elle habiter pour remplir sa fonction ? Paris, il me semble ! Petit rappel : un médecin = 10 ans d’études, pas plus payées par l’État que tous les étudiants de toutes les facs en France : les internes sous-payés, la consultations du médecin généraliste à 25 €, la plus basse d’Europe…
L’émission évoque la médecine générale au Canada : le coût des soins y est aussi relativement onéreux. Le tarif de la consultation, fixé librement par les praticiens, peut varier considérablement. En moyenne, il faudra compter entre 50 et 100 dollars canadiens. Et pour un médecin généraliste dans un désert médical, comment faire lorsqu’il n’est pas là (week-end, vacances) ? Aucun remplaçant possible ; aucun correspondant spécialiste : il travaille seul
Elise Lucet a-t-elle oublié qu’il y a eu plus de 20 ans de numerus clausus extrêmement strict et que les déserts médicaux - à part à Biarritz (!) - existent partout ? Les médecins à la retraite ne sont plus remplacés. Sait-elle que c’est le classement aux ECN qui détermine la spécialité du futur médecin et la région où il va effectuer son internat ? Bref, elle fait toute une émission avec des erreurs grossières, simplement à charge, afin de faire croire que le lobby médical libéral impose sa loi. Elle part d'une idée préconçue, stupidement filmée, en tronquant la vérité pour faire le buzz. Du grand n’importe quoi !
Concernant les kinés : signé en novembre 2017, l’avenant 5 avait ainsi conditionné l’octroi d’honoraires supplémentaires à la profession à une réglementation stricte des installations dans les zones considérées comme surdotées : le futur kiné libéral doit respecter le principe dit du « 1 pour 1 », à savoir attendre la « cessation définitive» d’activité d’un kiné libéral conventionné.
Si c'était le cas pour les médecins généralistes, il y aurait toujours le problème de l'installation, puisque les retraités ne sont remplacés qu'à 1 sur 3 et voire bien plus encore. Autre élément important : le nombre de médecins généralistes et leur moyenne d’âge : 56,2 ans. Le ratio selon le genre fait aussi apparaître de grandes disparités départementales : huit départements ont une part de femmes supérieure ou égale à 50 %. Actuellement, les médecins de plus de 60 ans représentent 47,3 % de l’ensemble des inscrits. Les moins de 40 ans, 19,1 %.
Déshabiller Pierre pour habilller Paul
Et le problème de la désertification partout va s'accroître ! Ainsi, les généralistes déclarent travailler en moyenne entre 52 et 60 heures par semaine : 61 % consacrés aux soins dans le cadre libéral, 19 % aux soins hors cadre libéral et 20 % aux activités autres que les soins. Ainsi, ce n'est pas un mais deux médecins payés 35 heures qu'il faudrait, sans compter les femmes toujours plus nombreuses, qui doivent cumuler autant d'heures tout en assurant leur maternité en tant que médecin en libéral. Pas facile…
Le problème en France n'est pas le libéral, mais le manque de médecins en libéral et de médecins en général : à l'heure actuelle, on déshabille Pierre pour habiller Paul et on cherche à l'étranger ce qu'on pourrait trouver en France en ouvrant les vannes, tout en inventant des usines à gaz en première année de médecine. Il y a un manque d'attractivité pour s'installer en tant que médecin généraliste partout en France. Et là où la poste, les banques et les écoles sont parties, le médecin, après 10 ans d'études les plus difficiles en Europe, devrait donner encore quelques années avant de pouvoir s'installer où il souhaite… Pour travailler après 60 heures à 25 € la consultation : ça fait rêver.
À 58 ans, c'est le passé qui nous fait tenir pour l'avenir, car nous avions un idéal et de l'espoir, mais les jeunes arrivent sur le marché avec désillusion ou burn-out. Et une envie de respirer derrière leurs masques... Qui a encore envie de vivre ça ?
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