Il n’est pas une semaine sans une annonce de conflit social dans un hôpital, sans un fait racontant un dysfonctionnement. La situation économique et sociale dans les hôpitaux publics est en crise majeure et toutes les expressions usuelles - « on a touché le fond », « on est dans le mur »- peuvent lui correspondre.
Économiquement, c’est depuis l’arrivée de la tarification à l’activité que tout a basculé. Non qu’il ne fallait pas réformer le budget global mais sûrement pas faire naître ce système inflationniste contraire à l’esprit de la médecine et du service public. Soutenue par les technocrates et des médecins le fameux « travailler plus pour gagner plus » ne pouvait s’appliquer à l'hôpital : d’abord parce qu’il y avait une dette et ensuite parce que, l’ODAM étant fixé, aucune marge de manœuvre n’était possible. Quant à la révision des tarifs, c’est le système le plus pervers et menteur qui a été inventé.
Nous n'étions que quelques-uns à protester en 2005, mais ce système a été mis en place. Aujourd’hui la dette a explosé, des dizaines de milliers de lits ont fermé et des établissements, s’ils n’ont pas fermé, sont menacés de fermeture avec des plans de retour à l’équilibre budgétaire qui institutionnalisent le rationnement et la mauvaise qualité des soins.
Des médecins démotivés
Ceci engendre un grand malheur : la démotivation des équipes, des personnels et des médecins. Qui pourra dire le coût de cette politique avec les suicides, les arrêts de travail, les personnels qui quittent l’hôpital, l'insatisfaction des usagers, le burn-out, les situations de harcèlement… Socialement, le système est dans une auto destruction et ne produit que de la souffrance. En cas de doute, il suffit d’écouter les confrères raconter leur CME ou lire les appels et lettres aux pouvoirs publics.
La France est en train de finir de casser ce qui fait une partie de son rayonnement international : son système de soin basé sur l’hôpital public et la sécurité sociale. Dernière attaque de taille et un bel exemple : l'AP-HP avec une dette majorée de plus de 50 millions qui fait que le déficit est à plus de 200 millions. La solution évoquée est un changement de statut ! C’est-à-dire la fin de cette grande institution qui remplit ses missions depuis toujours mais à qui, depuis des années, on ne donne pas les moyens de les remplir. L’économique n’est plus au service de l'humain mais à sa propre servitude.
La cause n’est plus cherchée à ce manque d’argent ! Alors, depuis des années, on traite la conséquence : on ferme les hôpitaux publics, on ferme des lits, on casse les services pour créer des structures technocratiques avec les pôles… Toujours plus loin des soignants, plus loin des malades, plus loin de l’intérêt général.
Un tiers du temps des médecins est passé au codage… Mais pour quoi faire ? Avons-nous fait des études de médecine pour coder ? La France forme les médecins de demain, non plus pour soigner mais pour servir le système économique. Un bon médecin est devenu celui qui code bien ; ce n’est plus le médecin humaniste et proche de ses patients.
Pour Bercy un bon investissement est celui qui ne se fait pas, un bon hôpital est celui qui ferme et une AP-HP démantelée. Bien sûr que quelques hôpitaux neufs sont sortis de terre, mais à quel prix ? Et ils sont le bel arbre qui cache la décrépitude des autres. Les conséquences des lois des précédentes législatures sont des catastrophes car elles ne changent rien et se contredisent. Dans la loi Bachelot les mots même d’hôpital public et de service public avaient disparu ! La Loi Touraine s’est ajoutée sans abroger. Bilan : les lois se télescopent et c'est la pensée économique néo libérale qui gagne dans l’affaire, qui veut la fin du service public. Pendant ce temps, les malades attendent aux urgences de plus en plus pleines : 8 millions de patients en 1988, plus de 21 millions en 2017 !
La dictature des acronymes
Connaissez-vous l’IPDMS ? L’indice de performance des durées moyennes de séjours… C’est le seul indice qui compte. S’il monte c’est qu’il y a une désorganisation et donc plus il augmente, plus ils demandent de lits. S’il est bas, c’est que les hôpitaux font des DMS courtes. Cette DMS est devenue une dictature et conditionne l’avenir des personnels, des médecins et donc des malades. Derrière ces acronymes opaques se cachent les fermetures de lits et d’hôpitaux. Les malades ne comptent plus.
Le danger est là : le pilotage des hôpitaux par des cellules de performance qui n’ont jamais vu un malade, par des personnes que nul ne connaît, qui ne sont ni élues ni visibles mais qui décident de tout. La vision de ces technos est étanche et personne ne peut les rencontrer. Échanger avec la directrice de la DGOS, avec les élus, est possible mais pas avec ces personnes qui cassent les hôpitaux. Quant à la ministre de la santé elle ne sert que de relais au ministre de l’économie… Nous sommes à une époque où il n’y a plus de politique mais un consensus d’experts. La ministre a tort de ne pas réagir. Il faut d’urgence casser les deux dernières lois Bachelot et Touraine, revenir sur la loi de 1958, mettre la coopération entre les systèmes publics comme la clé de la modernité et rouvrir des lits afin de répondre aux besoins de la population, et donc de créer des emplois comme par exemple dans les EPHAD. Il faut un big bang Politique et pas un vent de Bercy !
Article suivant
Quantité et qualité des soins : deux critères indissociables
Crise de l'hôpital : il faut un big bang politique !
Quantité et qualité des soins : deux critères indissociables
Investissement en santé : malgré l’urgence, pourquoi ça coince encore
Suicides de soignants à l’hôpital : Vautrin, Borne et Neuder visés par une plainte, ainsi que l’AP-HP
Opacité tarifaire, pratiques commerciales trompeuses… Les cliniques rappelées à l’ordre par Bercy
Vers un moratoire sur les fermetures des maternités ? Les obstétriciens du Syngof disent non